©Thomas Klotz
Voici un livre qui ne cille pas, comme le sujet qu’il traite : Justice, de Thomas Klotz, série de photographies explorant cette notion dans toutes ses dimensions.
Justice, livre de grande sobriété, s’ouvre en format Italien ample, les images respirent, tous les détails comptent, tant ici le moindre signe doit incarner une forme d’équilibre, de juste distance, de solennité respectueuse des justiciables et du bon fonctionnement des affaires courantes.
Il y a les ors et les décors, la modernité et la patine, la tradition et les rouages de l’administration, la mise en scène et le dévoilement.
©Thomas Klotz
Donner un cadre à la parole de vérité, observer les moindres déplacements de sens, dans la tentative de ne jamais être discordant.
Photographiant les lieux de l’institution (centre de détention, tribunal judiciaire, cour d’appel, cour d’assises, prison, salle des scellés), mais aussi les personnes (magistrate, avocate, directeur de police judiciaire, juge d’instruction, substitut du procureur de la République, étudiant et professeur agrégé de droit public, directrice de cabinet du ministère de la Justice, porte-parole du ministre de la Justice, huissier de justice), Thomas Klotz donne une représentation à ce qui généralement n’en a pas pour les non-initiés, ou les non-prévenus.
Avec malice, le photographe place son livre sous la protection d’une amulette venue du Madagascar (un coquillage conservé au musée du quai Branly-Jacques-Chirac), sensée empêcher « celui qui le tient d’être victime d’une parole injuste, d’avoir des affaires avec l’administration ».
©Thomas Klotz
Né en 1977 à Seclin, Thomas Klotz, qui travaille, précise Michel Poivert, avec un appareil de moyen format et une pellicule argentique, se plaît à photographier nombre de lieux de justice se situant dans le Nord de la France, à Douai, à Béthune, à Boulogne-sur-Mer, à Arras.
Si les images du photographe relèvent d’une forme de silence intérieur, elles sont pourtant pleines de présence, de phrases tues ou à prononcer, de débats, de délibérations, d’actes de jugement.
« Les dossiers empilés, poursuit l’historien de la photographie, se mettent alors par la mollesse de leur propre poids, à évoquer l’épaisseur des corps dont ils renferment l’histoire, tout comme les plis d’usure d’un fauteuil témoignent des heures d’attente et de réflexion. Ailleurs, c’est la grande surface bleue d’un mur qui a peut-être donné au prévenu l’occasion de laisser ses pensées le quitter un instant pour qu’il puisse imaginer un autre horizon. »
©Thomas Klotz
Il y a des drames effroyables (les quatre jeunes filles disparues durant le carnaval du Portel en février 1997, enlevées, violées et assassinées), et le temps calme de la justice devant trancher sur la durée des peines.
Madame notifie, classe, enregistre, accumule, archive.
Madame se donne en grande pompe ou avec plus de modestie.
Tiens, un parapluie est appuyé contre un mur à moulures, petit instant burlesque dans le cérémonial bien huilé.
©Thomas Klotz
Photographiée en habit d’hermine à la cour d’appel de rennes, Christine Moreau, présidente de la chambre d’instruction, ne peut s’empêcher de déclarer, devant le Christ de douleur faisant face à son bureau : « On ne côtoie que la noirceur dans toute la palette de son expression. Cette noirceur nous poursuit, y compris hors du palais. »
Thomas Klotz ne cherche pas d’abord l’émotion, pourtant presque tout en son livre relève d’une gravité inhérente et troublante au domaine dont il rend compte – tout est banal et pourtant rien ne l’est.
Pas d’affolement, de précipitation, de cris, mais la dignité aiguë des personnels tentant de faire mieux avec (presque) toujours moins (de moyens).
Et puis, il y a les lieux de détention, regardés par l’artiste en coloriste – aplats quelque peu inattendus de bleus, de roses, de jaune, d’orange.
Qu’il est difficile de juger juste, de trouver le bon équilibre de la balance, de ne pas devenir un automate quand la surcharge de travail pèse de façon démesurée.
Avant de se suicider, en 1980, Taleb Hadjadj, condamné pour braquage à la réclusion criminelle à perpétuité, écrit une lettre bouleversante : « Tous les jours je crève, j’ai mal terriblement. A croire qu’un cancer me dévore. Je vous quitte, empli de haine et d’amour. De l’amour que j’ai raté, de l’amour que je n’ai pas eu, de l’amour que je voudrais donner. Bonne chance. »
Justice est un livre calme et lumineux, complexe et généreux, confiant et de juste mesure.
Thomas Klotz, Justice, préface de Michel Poivert, textes de Mathieu Delahousse, Eric Dussart, Abel Quentin, Dominique Simonnot, Christophe Jamin, Laure Heinich, Editions Maison CF, 2022, 192 pages
©Thomas Klotz
Exposition Justice, du 19 mai au 30 juillet 2022 – galerie Clémentine de la Féronnière (Paris) / vernissage le jeudi 19 mai 2022 à l’occasion de la Paris Gallery Weekend
Galerie Clémentine de la Féronnière