
©Elodie Merland
Hors Service, de la photographe Elodie Merland, est un livre solaire habité par le vide.
Vivant et travaillant entre Dunkerque où elle est née et Folkestone, en Angleterre, l’artiste connaît bien ces communes du Nord de la France, où il ne s’agit pas de se monter du col, Bergues, Coudekerque-Branche, Grande-Synthe, Hazebrouck, Armbouts-Cappel, Saint-Pol-sur-Mer, Spycker.
Dans le Var, où Elodie Merland a également effectué sa série sur des lieux vus à partir de l’emplacement d’anciennes cabines téléphoniques démontées, l’impression d’absence et de douce incommunicabilité est la même.

©Elodie Merland
Hors Service est un livre de paysages urbains faisant songer quelquefois à Guido Guidi.
Est-on en période de confinement ? La population a-t-elle été appelée au télétravail ? On ne peut pas savoir, car ici le silence est moins politico-sanitaire qu’ontologique.
Un tapis de feuilles, un muret de briques, une grille de fer forgé, une ombre sur le macadam, tout fait à la fois sens et mystère pour qui ne craint pas de contempler en chaque chose le reflet de son exil.

©Elodie Merland
Les lumières sont belles, il ne fait pas encore trop chaud, sont-ce cela les limbes, ou la salle d’attente située entre néant et félicité ?
Nous allons probablement être bientôt jugés, et sommes autorisés pour le moment à nous installer confortablement dans la quiétude de l’espace.
On peut chercher à distinguer les cieux du Nord de ceux du Sud, mais l’exercice serait vain, quand il importe avant tout d’adopter le regard de l’oiseau voletant çà et là dans la plénitude d’un territoire illimité.

©Elodie Merland
En chaque photographie, il y a des points d’appel, un charriot rouge, une enseigne de restaurant (L’Iguane), un guichet fermé, un numéro de téléphone.
Par ces amorces de fiction, l’esprit s’évade, pour être finalement contenu par le cadre.
On imagine les passants, intrigués : mais qu’y a-t-il à voir ici ? Pourquoi une photographe ? Pourquoi tant d’attention ?
Madame, Monsieur, jeune homme qui souriait, la poubelle au couvercle marron serait-elle moins digne de respect que le parasol refermé, ou le platane surpris en pleine conversation avec ses pairs ?
L’ordinaire n’est pas forcément le banal, quand l’image-temps souligne la puissance visuelle de chaque scène.
L’humain a disparu, mais il est là, partout, au moment de garer sa voiture ou de sortir de son appartement de centre-ville, de poster une lettre ou d’aller chercher un plat asiatique au coin de la rue.

©Elodie Merland
D’une grande sobriété formelle, les images d’Elodie Merland possèdent une palette chromatique très fine : une gaine de câble verte serpentant sur un mur, un arrondi de trottoir jaune pâle, un drap rose pendu au loin sur le balcon d’une villa.
On est bien ici, près de l’hôtel de ville.
On croit peut-être d’abord qu’il ne se passera rien, mais en fait tout est là, et tout peut arriver pour qui garde le cœur ouvert.
Par ses photographies soustractives, l’artiste dunkerquoise crée un champ magnétique invitant le spectateur à ôter les voiles de ce qu’il croit être sa différence, son identité, son individualité.
N’être plus qu’un pan de mur effrité, comprenez-le, soulage.

Elodie Merland, Hors Service, texte Arnaud Dejeammes, Editions Bruits de Fond, 2021, 72 pages – 200 exemplaires numérotés

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