
©Ben Capponi
L’un des grands sujets de l’art aujourd’hui est celui de la disparition du monde, de ce qu’il reste de ses points d’intensité non médiatisés, de sa quiétude, de son ordre spontané non vicié par les dispositifs d’expropriation mis en place par les structures de contrôle et de domination.
En travaillant avec les beautés et mystères du tirage lith, dont la chimie est si capricieuse, d’une autonomie parfois démente, Ben Capponi est entré dans la substance même – avec la mélancolie inhérente au procédé – de l’effacement.

©Ben Capponi
Dans la confusion de tous les temps et des images de nature hypnagogique – traces de l’Antiquité, signes de l’époque médiévale, édifices de la modernité -, le photographe vivant à Grenoble a créé un continuum sensible où les terrils et murs de briques croisent les derniers fastes d’une fête d’enfance appelée Bouglione.
Les trains de la révolution industrielle passent à vive allure, le ciel est noir, tourmenté, il pleut sur les pages des larmes de suie.

©Ben Capponi
Toutes les heures blessent est un livre d’électricité froide, de rêves engloutis et de menace diffuse.
Chaque image relève d’un miracle de présence malgré tout, comme une levée d’être au moment de l’enténèbrement terminal.
Un moulin, une caravane, un taillis.

©Ben Capponi
Quelque chose est là, mais comme sali, bout de pellicule retrouvée altérée dans une cinémathèque lointaine accablée de soleil.
Au terme des chemins ne menant nulle part, il y a le buste d’un dieu romain, ou peut-être de Socrate, ce savant qui savait qu’il ne savait rien.

©Ben Capponi
Champ de croix, guerre, dévastation.
Ames errantes.
Révoltes masquées, oiseau mort, apiculteur.
Puissance solitaire d’un épouvantail magnétisant l’espace.
Les arbres sont des suppliciés, comme chez Otto Dix.

©Ben Capponi
Les figures anthropomorphes au sein de la nature sont légion, anges ou démons, et peut-être les deux à la fois.
Le show continue encore un peu dans le terminus de l’Occident asphyxié, les enfants jouent avec des bombes nucléaires en se balançant dans le vide de l’univers.
Comme le rappelle Jean-Louis Roux dans le texte sublime qu’il a offert à son ami, les premiers photographes ont d’abord montré des ruines, des carrières, des tas de pierres.
« Ben Capponi procède comme les calotypistes du temps jadis. Non pas seulement parce qu’il se passionne pour les procédés anciens et qu’il s’intéresse volontiers à des « non-sujets », mais parce qu’à sa façon, lui aussi, il nous jette de la terre et du sable dans les yeux. »

©Ben Capponi
Toutes les heures blessent, oui, mais toutes les secondes sauvent.
L’enjeu n’est-il pas d’accueillir la plénitude de l’instant pour arrêter la course folle du temps maléficié ?

Ben Capponi, Toutes les heures blessent, texte Jean-Louis Roux, conception graphique Simon Vansteenwinckel, Editions Emulsion (Grenoble), 2022
https://www.bencapponiphoto.com/

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