
« Dans mon jardin, un jeune noyer pousse à l’abri d’une pierre plate. Une noix y a été cachée, puis oubliée. La naissance des noyers épars loin de l’arbre mère résulte du travail classique du pic épeiche énervé ou d’un écureuil précautionneux mais distrait, l’un et l’autre finissant par faire tomber la graine et par passer leur chemin. L’enfouissement sous la pierre serait plutôt celui d’un campagnol opportuniste ayant récupéré le trésor pour le placer dans le tunnel abandonné d’une taupe voyageuse. L’arbre qui croît là où aucun humain n’a semé de graine vient ainsi souvent d’un concours de performances animales. » (Gilles Clément)
Il y a chez les éditions Atelier EXB, et précédemment chez Xavier Barral lui-même, un tropisme astral extrêmement marqué, soit un intérêt permanent pour ce qui relie l’infini grand et l’infini petit.
On se souvient par exemple du livre magistral, Mars, Une exploration photographique, publié pour la première fois en 2013.

Paraît aujourd’hui, à l’occasion d’une exposition au CENTQUATRE-PARIS, Histoires de graines, livre questionnant notre lien avec nos origines à travers des photographies de graines ressemblant à des astéroïdes en lévitation dans le cosmos.
Ces concentrés d’énergie sont à la fois le début et la fin, le commencement et l’acmé, la vie considérée dans sa charge énergétique et son mystère premier.
Photographiés sur fond noir ou crème, à la façon de planches botaniques, par Thierry Ardouin (collectif Tendance Floue), les graines de bouleau blanc, d’if, de caféier, de faux poivrier, de cotonnier ou de saule – la plupart proviennent du Muséum national d’histoire naturelle – sont des splendeurs végétales témoignant de la richesse inouïe du vivant.

Nous sommes aux lisières du fantastique, là où se créent des constellations, au plus lointain du firmament, et au plus proche de la nature naturante.
Avec une très grande maîtrise de son art, Thierry Ardouin souligne la dimension de merveille inhérente à l’énigme de la vie, tant pour la forme que pour la couleur, pour les textures que pour les apparences.
Comme le rappelle Gilles Clément, les graine ne sont pas des clones, elles sont porteuses de l’union de deux patrimoines génétiques différents, et donc essentiellement invention.
L’intelligence du vivant met en relation très fine l’animal et le végétal, les graines ne cessent de migrer, de se déplacer, de se métamorphoser, à la façon de la noix de coco transportée par les flots.
Désormais, les graines certifiées, précise Thierry Ardouin, sont souvent enrobées de pesticides ou d’argile, parce qu’elles n’ont pas besoin d’être disséminées et que l’enjeu est de faire acheter au cultivateur la possibilité de renouvellement de sa récolte – on appelle cela « la guerre des semences », qui est un appauvrissement, une standardisation, et un combat contre les nuances de goût.
Les graines possèdent une capacité de dormance remarquable – ainsi la Belle au bois dormant attendant le baiser qui lui offrira par l’amour le réveil -, attendant la bonne occasion ou les circonstances favorables pour éclore.

Au Néolithique, la sédentarisation des chasseurs-cueilleurs dans des villages procède de cette maîtrise de la graine, d’où procède la naissance de l’agriculture.
Il y a dans la façon de montrer ces entités troublantres de la part de Thierry Ardouin une conscience de leur héraldique fabuleuse, faisant songer quelquefois aux tirages de Denis Brihat.
Le trésor de ce qui s’offre sur les pages est considérable, et nous ne pouvons nous sentir que bien barbares devant tant de subtilités formelles et chromatiques au service de la vie.
Impression de masques africains, de totems primitifs, d’installations contemporaines de haut vol.
Nul n’a jamais vu à ce point la volupté de l’existant, chaque photographie révélant une planète inconnue.
Haricot pater noster, Badiane de Chine, Fève de Tonka, Tabouret des champs, Chicorée « Italienne », Mubala…
Mais Histoires de graines, livre écosophique, est aussi un ouvrage politique.
José-Manuel Gonçalvès le souligne : « Les migrations humaines sont autant de graines qui circulent et sont parfois contraintes de voyager pour exister et survivre. Même si l’analogie pourrait paraître simplificatrice, elle n’en demeure pas moins pertinente dans l’observation de nos destins communs entre la nature et l’espère humaine. »
Nous sommes des graines en migration et dormance qu’un sol, qu’une lumière, qu’un regard, viendra peut-être lever.

Thierry Ardouin, Histoires de graines, dessins Emmanuelle Bouffé, textes Marion Chartier, Charlotte Fauve, Gilles Clément, Serge Bahuchet, José-Manuel Gonçalvès, Atelier EXB, 2022, 336 pages
https://exb.fr/fr/home/528-histoires-de-graines.html
Ouvrage publié à l’occasion de l’exposition Graines, l’exposition ! Petit précipité subjectif d’une histoire des graines, CENTQUATRE-PARIS, du 18 juin au 4 septembre 2022 – commissariat Nathalie Chapuis et José-Manuel Gonçalvès, œuvres de Thierry Ardouin, Duy Anh Nhan Duc, Fabrice Hyber et Jade Tang, jardin caché Emmanuelle Bouffé
https://www.104.fr/fiche-evenement/graines.html

Les clichés à voir au Centquatre Paris sont époustouflants, l’infiniment petit nous y apparaît comme infiniment grand. Ce voyage astral en effet nous montre aussi des semences évocatrices de nos propres organes sexuels.
A contempler également dans cette exposition les installations toute en légèreté et poésie de Duy Anh Nhan Duc.
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« Nous sommes des graines en migration et dormance qu’un sol, qu’une lumière, qu’un regard, viendra peut-être lever ».
Merci Fabien Ribéry pour votre bien sympathique texte. Je vais partager.
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