©Ernest Pignon-Ernest
« Où se trouve ce gouffre / A anges et à démons »
Sixième livre du duo André Velter/Ernest Pignon-Ernest aux éditions Actes Sud, Au feu du désir même est un ouvrage libertin en dessins et en mots.
Attribués à un certain Guillaume de la Mercie – André Velter est adepte des hétéronymes – les poèmes de cet opus brûlant de liberté font penser à l’obscène Giorgio Baffo, poète, magistrat et sénateur vénitien (1694-1768) dont Hugo Pratt s’inspira pour son ouvrage confidentiel publié un an avant sa mort Sonnets érotiques (Vertige Graphic, 1994), soit une célébration de la vie dans sa crudité alors que s’approche l’heure dernière et que règne la peste.
Nous avons été confinés, les parois de la prison mentale se sont resserrées, il nous a fallu trouver des chemins d’élargissement par le corps et l’esprit réunis en une même fête ardente.
©Ernest Pignon-Ernest
Guillaume de la Mercie est ici le nom générique de la lignée des poètes troubadours allant du XIIe siècle à aujourd’hui, inventeurs de formules verbales témoignant d’une vérité de jeu supérieure et partageable.
On se chevauche, on se réjouit ensemble, on s’étouffe de baisers, on échange des talismans.
On s’absorbe, on se dévore, on se cannibalise, on entre en l’autre par l’ouverture des cuisses, littéralement et dans tous les sens.
Mais que disent les sutras de l’amour moderne si ancien ?
« De muse et de mangue / La saveur soumet les désirs contraires / Avec un rien de ce parfum / Qui a couleur de jaspe et reflets de satin »
On se plie, on se déplie, on écarte les plis, on se discourt sans mots mais en cris.
« Au bout de la langue la foudre / Sépare ce qui disait Tu / De ce qui va dire Vous / Avec une évidence de syncope et d’orage »
Tu m’étreins, tu me baises, tu me blesses, tu me sauves, tu es homme, femme, au-delà des identités de genres germées.
Ernest Pignon-Ernest dessine accroupie ployée cambrée, qui ne s’apprend pas dans les écoles d’art, mais au clairon de l’expérience.
Dans la bascule des corps, l’encre rapide devient ivre de plaisir.
« Votre toison fendue / Et la fontaine brève / Qui ose impunément la candeur et l’excès »
La luxure peut être saphique, l’union des corps féminins offrant au regardeur de cavalières et superbes perspectives.
©Ernest Pignon-Ernest
« Dans la nuit de Dehli / Vos yeux changeants / Comme plusieurs flammes / Pour un même feu // Tendre Parvati à l’instant / Où fleurit le plaisir / Puis Durga aussitôt / Qui me veut roide à son flanc // Bihana disait déjà / L’ardeur cavalière qu’il y a / D’inverser les rôles / Au gré du trouble et de la voix // Et mon souffle / Bat contre votre nuque / Implorant célébrant / L’amour à Qutun Minar »
Pas de ponctuation, fors le vit dressé dans la cambrure.
Pigment, pigmenté, pimenté les géantes amours pygmées.
On s’asymptotise, on s’hypnotise, on se brise.
Vous nous licenciez, on se licencie, on cherche la licence au présent du chavirement des sens.
Tu récoltes la rosée à la coupe des lèvres d’une orange sanguine.
« Votre ordre sauvage / Me tient de part en part »
Nous sommes en Inde, à Rome, en Provence, partout où les yeux de lumière deviennent épices de corps et clameurs de plaisirs ne s’interdisant rien.
Le poète, apollinarien : « J’ai glissé à mon doigt l’anneau fauve de ton cul »
André Velter et Ernest Pignon-Ernest, Au feu du désir même, poèmes attribués à Guillaume de la Mercie, éditeur Anne-Sylvie Bameule, coordination éditoriale Marie-Amélie Le Roy, conception graphique Christel Fontes, photogravure Martial Creton-Vérove, Actes Sud, 2021, 144 pages
Sublime ouvrage il me semble !
Merci beaucoup pour la découverte…
…et les découvertes des autres ouvrages !
Miss G 😊
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