Rien, l’instant du naufrage, par Michel Mazzoni, photographe

©Michel Mazzoni

Ce pourrait être un répertoire de formes ou un inventaire de matières et de lignes, mais c’est mieux encore puisque c’est un livre sur le rien, ou, à la façon du philosophe Vladimir Yankelevich, sur le presque rien.

D’ailleurs, Michel Mazzoni, son auteur, l’intitule malicieusement Rien, presque.

©Michel Mazzoni

Le territoire de l’infra, de l’infime, des failles, et de l’organisation formelle des apparences est depuis longtemps le domaine de recherches privilégié de ce photographe plasticien vivant à Bruxelles.

Publié avec l’intelligence graphique que l’on connaît aux éditions MER, son ouvrage, très risqué, très réussi – tout semble ne tenir que sur une tête d’épingle, en acier trempé – n’est pas l’une de ces énièmes expériences imprimées en risographie, mais un bloc de pensée brute aux subtiles nuances de gris.

La minéralité est ici omniprésente, même lorsqu’il s’agit de végétaux ou d’un agencement de bouts de papiers, pris dans la fermeté d’un ciment conceptuel ouvert au trouble de ce qui le fissure.

Pas de puissance sans fragilité.

©Michel Mazzoni

Alain Jouffroy l’a écrit, le monde est un tableau, un morceau d’albâtre ou de craie posé sur le bitume comme un astéroïde venu du futur tombé dans la savane des premiers hommes, mais bien cadré par le chercheur de traces contemporain.

Le papier fin laisse voir en transparence des fantômes géométriques, des cingles de câbles, des taches sur le sol, la crête d’une vague dans un enclos grillagé.

Des remous d’eau et du calme marmoréen.

©Michel Mazzoni

Des pages blanches et des griffures.

Des fracas de silence.

Des structures de capture du vide.

On peut chercher des résonances, des métaphores filées, des correspondances, oui, et accorder également à chaque page sa pleine autonomie, comme si chaque ensemble formel était un cosmos inédit.

©Michel Mazzoni

Rien, presque est un atlas de l’étrangeté familière, une manière d’anthropomorphisme abstrait, un regard posé sur les entités nous environnant à l’instar des kamis.

Une entaille dans un fauteuil en skaï.

Un espace sous une roche bruissant de présences.

Une étoile en plâtre sur un plafond.

Une dalle décelée, une couture, une plaque d’acier derrière une vitrine.

©Michel Mazzoni

L’image très piquée expose quelquefois sa trame, le visible est un piège de fascination.

Il y a de l’ascèse du regard dans le travail de Michel Mazzoni, une méditation continue à partir du simple et des traits s’ordonnant sur une plaque de bois comme sur une surface verticale.   

La géométrie est une façon d’accéder à l’infini, des portes s’ouvrent dans l’invisible, des seuils, des passages.  

Il faut un triangle, deux planches disjointes, une déchirure dans une feuille d’agave.

©Michel Mazzoni

Le zen est une révolution intérieure demandant une grande discipline, Michel Mazzoni proposant à son spectateur, tels ces moines assis des heures devant une roche ronde, de ne plus établir de séparation entre le dehors et le dedans, l’intime et l’extime, le hasard et la nécessité, l’improvisation et la mise en scène léchée.

Quel pourrait être le visage de Dieu ? un nuage ? un sucre de polystyrène ? un rideau ? une fleur séchée dans un vase transparent ? des points-lignes-plans ?

On s’interroge beaucoup aujourd’hui sur une possible présence extraterrestre sur terre.

©Michel Mazzoni

En savant ufologue, Michel Mazzoni expose des mystères, traque des décalages, des incongruités, des signes.

Time is out of joint, clame-t-il avec Hamlet : quelque chose s’est produit dans la substance même du temps, le carrelage est élimé, l’eau de la piscine s’est enfuie avec les illusions de monde commun.

Il reste encore un peu d’oxygène dans la bouteille de la survivance, la chaleur fait exploser la planète comme les cervelles, l’apocalypse a déjà eu lieu, nous sommes des naufragés sur une planète pourrie, et pourtant tout est merveilleux, magnifiquement organisé, drôle dans l’effort de tenir encore son rang alors que tout s’écroule.

©Michel Mazzoni

Michel Mazzoni n’est pas un ironiste, mais un mystique sauvage – qui s’ignore peut-être.  

Michel Mazzoni, Rien, presque, texte Eric Suchère, graphisme Studio Luc Derycke, MER. B&L, 2022, 320 pages – 400 exemplaires

http://www.michelmazzoniproject.com/

https://www.lespressesdureel.com/EN/ouvrage.php?id=9881&menu=0

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s