
« La racine anthropologique du capitalisme réside dans le prométhéisme et la non-acceptation des limites. (…) Ultimement, le postcapitalisme ne peut advenir que sur fond de notre finitude anthropologique marquée par la mort. » (Nathanaël Wallenhorst)
Dans L’homme pressé (1941), Paul Morand écrit, prophétique, après Paul Valéry et avant Paul Virilio : « La vitesse est la forme moderne de la pesanteur. »
L’analyse de l’aliénation contemporaine par la vitesse est l’axe majeur des travaux du sociologue allemand Hartmut Rosa, membre de l’Ecole de Francfort, dont le livre-phare, paru en français en 2010, Accélération. Une critique du temps social, est une réflexion sur la modernité tardive soumise à l’impératif d’une stabilisation dynamique par la mobilisation permanente des forces psychiques et de production, contraintes à augmenter toujours davantage leur cadence.
Sous-titré « Pour une éducation en anthropocène », le livre au titre ironique Accélérons la résonance ! déploie, par le biais d’un entretien avec Nathanaël Wallenhorst, enseignant-chercheur à l’université catholique de l’Ouest, un concept – l’édition originale de Résonance date de 2016 – évoquant, contre l’accélération hégémonique réifiante, le « partage de l’existence humaine avec l’ensemble des Terriens, humains comme non-humains. »
Comment mener une vie bonne dans une vie nous obligeant sans cesse à nous réactualiser, à l’instar d’un processus informatique ayant imposé son mode de fonctionnement à l’animal humain ?
A chacun donc, au risque d’être disqualifié, ou rejeté, d’entretenir son capital physique, social et économique dans une sorte de tyrannie de la « mise à jour » permanente.
Peut-on décélérer ? Comment ? Faut-il procéder par paliers ou de façon plus radicale ? Quels sont les chemins pour entrer plus profondément en relation ?
Brutalisé, le monde a cessé de parler, l’existence intérieure (lire La France contre les robots, de Georges Bernanos) est en voie de disparition, l’écoute de la polyphonie est rare.
« Les personnes disent que le monde extérieur leur est devenu, sourd, vide et pâle, remarque Hartmut Rosa. Et elles ajoutent qu’à l’intérieur d’elles-mêmes elles se sentent aussi mortes, sourdes, vides et pâles. »
Contre cette atonie, il y a la possibilité d’une résonance vibrante, d’un état amoureux, voire érotique (Herbet Marcuse), avec l’ensemble du vivant.
Créer une sphère de résonance, pense le philosophe enseignant à Iéna, permet de rétablir une forme de synchronie quand l’aliénation par la vitesse domine la plupart des interactions en les déphasant.
« Nous devons apprendre à écouter le monde, à le percevoir nouvellement et à lui répondre. C’est une tout autre chose que d’en disposer. »
Peut-être, conclut Harmut Rosa, avons-nous besoin d’une « révolution musicale ».

Hartmut Rosa, Accélérons la résonance ! entretiens avec Nathanaël Wallenhorst, traduit de l’allemand par Sophie Paré et Nathanaël Wallenhorst, Editions Le Pommier / Humensis, 2022, 62 pages