
©Mathieu Farcy
J’ai rendu compte il y a moins d’un an – article du 7 octobre 2021 – du travail de Mathieu Farcy tel que présenté dans un livre étonnant et sublime, Saints Loups.
Je n’habitais pas mon visage, que publient aujourd’hui les Editions Loco, est un projet au long cours mené pendant cinq ans avec des personnes ayant dû apprivoiser leur nouveau visage, à la suite d’une maladie ou d’un accident ayant remodelé leurs traits.

©Mathieu Farcy
Qui est-on lorsque l’on a perdu tout ou partie de son visage ?
Comment définir et penser notre nouvelle identité ?
Privilégiant l’élaboration en commun, Mathieu Farcy et ses partenaires de création ont questionné les notions de soin, de réparation, de métamorphose, d’étrangeté.
Les histoires se mêlent, et les actes artistiques nécessaires à chacun – sculptures, installations, écrits.

©Mathieu Farcy
Des pages se déplient, laissant comprendre des blessures, des déchirures intimes.
Le visage est barré, oblitéré, il faut le réinventer.
Ponctué par des pages et pensées – reproduites à la main – issues de ses carnets personnels, le livre du photographe amiénois se donne à lire et voir comme un objet de vie, de vitalité, de partage.
Il n’est peut-être pas indifférent que l’artiste soit du pays des gueules cassées de la Première Guerre mondiale pour ainsi s’être intéressé à la destruction dans les visages.

©Mathieu Farcy
D’une très belle matière chromatique, les images de Mathieu Farcy ne craignent ni le noir, ni la lumière.
Une douceur les nimbe, comme une transfiguration.
Le chaos est là, mais il n’est pas la fin de l’histoire, plutôt un commencement autre.
« Xavier, écrit le photographe, a déclenché un cancer après avoir vu son fils hospitalisé. Il sait que c’est cette vision qui a installé la maladie dans l’œil. Il porte depuis un bandeau qu’il fabrique lui-même. »

©Mathieu Farcy
Il y a tant de mystère, tant à comprendre, tant à accepter.
« Anna est moldave. Elle vit en France. A cause de son visage : sans le cancer qui lui en a enlevé la moitié, elle vivrait certainement toujours à Chisinau. »
Les actes de chirurgie sont précis, savants, incroyablement efficaces, mais Mathieu Farcy célèbre moins la technicité que la pudeur de tous, les émotions, les interrogations.
Les souffrances sont immenses, les photos d’identité montrent les visages d’autrefois, il faut un courage de Titan pour reprendre vie.

©Mathieu Farcy
Des bandages, des pansements, des nuits d’angoisse, puis le rouge à ongles, les gestes de coquetterie revenus, l’apprentissage de l’autre en soi, qu’il faut aimer comme un frère.
Tiens, voici Coluche, photographié en noir et blanc, un tissu sur l’œil, à une époque où l’extrême-droite recommence à rebander : « Si des gens meilleurs que Le Pen avaient porté un bandeau, me verrait-on autrement ? »
Je n’habitais pas mon visage pose la question de la différence, de l’acception – par soi-même et les autres -, et de la capacité des gestes de création à nous refonder.

Mathieu Farcy, Je n’habitais pas mon visage, photographies et textes Mathieu Farcy, Samia Brahik, Xavier Jacquey, Anna Melnic, Béatrice Basseville, Philippe Montigny, Perrine Le Querrec, Editions Loco, 2022

©Mathieu Farcy
http://www.editionsloco.com/Je-n-habitais-pas-mon-visage-315
Pour écouter un échange sur ce projet avec Quentin Qassemyar, chirurgien du visage, et voir les œuvres vidéo et plastique www.mathieu.farcy.com/suitedulivre
Mathieu Farcy est représenté par l’agence Signatures
Mathieu Farcy et Perrine Le Querrec forment le duo PLY