De la vulnérabilité masculine, par JH Engström, photographe

©JH Engström

Il y a selon le fermier et écrivain américain Wendll Berry l’esprit rationnel – qui domine le monde, l’écrase, l’asphyxie -, et l’esprit empathique, qui est d’une compréhension fine des interactions permanentes entre l’ensemble des vivants, humains ou non.

Je vois ainsi The Frame, le dernier ouvrage de JH Engström composé essentiellement de portraits, comme un éloge, à partir des points de solitude en chacun, d’une communauté sensible dépassant les frontières – elles sont d’ailleurs faites pour cela – égoïques.

Commençant et s’achevant par des photographies de roches et de végétaux, entrelacés dans une sorte de chaos primordial, mais riche de figures anthropomorphes déjà – nous croyons regarder, alors que nous sommes vus, toujours, partout, de toutes parts, et depuis l’origine des temps -, The Frame rassemble les portraits (et autoportraits) d’une vie, et, choix finalement assez rare, uniquement masculins.

©JH Engström

©JH Engström

Depuis trente ans en effet, JH Engström photographie les hommes, parfois nus, ne cherchant pas les corps parfaits, mais pourquoi pas, désireux surtout de montrer en chacun une vulnérabilité, une fragilité, une irréductibilité.

Cette attention sans voyeurisme ni pathos envers la fêlure, la brèche, la faille intime est bouleversante.

Les hommes que contemple l’artiste, et que rassemble un livre dont le format est celui d’un roman (15×21), ne sont pas des guerriers, des conquérants, des êtres sanglés de réussite, mais simplement nos prochains, nos voisins, nos pères et frères, nos fils et les copains de nos fils, nous-même au fond, à la façon de qui prolongerait aujourd’hui sans cesse la formule conclusive des Mots de Sartre : « Un homme, tous les hommes. »

Les stéréotypes de genre sont féroces, qu’il s’agit de déconstruire, que l’on ait tel ou tel sexe.

Qui est-on dans le regard de l’autre ?

Comment est-on désiré ?

A-t-on le droit de pleurer devant vous Madame, et devant toi, bel inconnu, qui m’aimes, me convoites et rêves peut-être de me tuer, de plaisir ou par étranglement ?

©JH Engström

©JH Engström

En passant beaucoup de soirées dans les bars, souvent en compagnie de plus jeunes que moi, et encore hier à Gand avec Eva et son amie Gaïa, je comprends que quelque chose a changé : la question des typologies sexuelles importe bien moins désormais que l’individu dans son intégrité, son unité, sa façon de dériver en soi sans drame et de résonner au contact du monde pluriel.

Cette porosité est un enchantement, tant elle s’accompagne aussi d’une aspiration à déjouer les processus de domination.

Les hommes et les personnes transgenres qu’a rencontrés Engström semblent pour la plupart éprouvés par la vie.

Les visages sont fatigués, les peaux sont marquées, il y a une lutte intérieure intense, et surtout, face à l’objectif, une demande de reconnaissance, un rappel de dignité.  

©JH Engström

Les monades se frôlent, se cognent, s’autodétruisent, et comme elles sont nombreuses les nuits passées seul, bêtement, misérablement.

Diversité humaine, sommeils ivres, défonce.

Les banquiers nous imposent leur ordre, mais qu’importe, nous sommes riches, et, dépouillés de tout, réduits à la déchéance, n’attendons plus rien de vous.

C’est la gloire des parias et des gueules cassées : rien à foutre de votre vaine gloire, et bientôt de votre burn-out de surmenés du vide.

©JH Engström

©JH Engström

Yeux bleus, cartons sur le macadam, cigarettes roulées.

Sacs plastiques, loques, béquille.

Effondrement, désespérance, murs de briques.

Sang, nudité, nature.

©JH Engström

Parmi les damnés de la terre, il y a Antoine d’Agata, Robert Frank, Anders Petersen, JH Engström, non pas différents, mais simplement témoins de la beauté brisée du commun et de l’effort de l’art pour recueillir en une forme capable de traverser le temps les tessons d’une humanité intimement blessée.

JH Engström, The Frame, editorial coordination André Principe and José Pedro Cortes, Pierre von Kleist editions (Lisboa), 2022, 354 pages

https://www.pierrevonkleist.com/products/the-frame-jh-engstrom

JH Engström est représenté par la galerie Jean-Kenta Gauthier (Paris)

©JH Engström

https://jeankentagauthier.com/fr/artistes/expositionsinstitutionnelles/23/jh-engstrom

JH Engström signera son livre durant Paris Photo :

  • Jeudi 10/11 à Off Print au stand Pierre von Kleist à 18h00
  • Samedi 12/11 à Polycopies au stand Kominek Books à 18h00

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