Le sacre de la vie, par Isabelle Vaillant, photographe

©Isabelle Vaillant

Isabelle Vaillant est une photographe discrète, rare, et très respectée par tous ceux qui ont eu la chance un jour de croiser son travail.

En 2007 paraissait chez Filigranes Editions son unique livre d’importance, Les photos du dimanche, mais depuis ?

Peu de choses, et pourtant l’essentiel : la maturation d’une oeuvre continuant à se former en silence chez une artiste ne cessant de vibrer à l’unisson de la vie, et de ne rien se cacher des émotions fondamentales.

Le Petit Echo de la Mode, lieu cuturel situé à Châtelaudren, dans les Côtes d’Armor (Bretagne), présente actuellement un ensemble exceptionnel – non exhaustif – de ses photographies, dessins et installation sonore couvrant un empan chronologique de vingt-quatre ans (1998-2022).

Il faut s’y précipter, l’exposition se terminant le samedi 18 février.

Y apparaît la cohérence d’un regard attentif aux états transitoires du corps – entre éveil, extase, naissance et mort -, comme à ses métamorphoses, aux moments de solitude comme aux retrouvailles collectives.

Dans la voiture, avant de reprendre la route, j’ai écrit ces quelque lignes.

©Isabelle Vaillant

« Les mots et les phrases en savent toujours plus que ceux qui les emploient.

A-t-on remarqué à quel point l’expression médium photographique, utilsée souvent de façon automatique, est riche de sens ?

Pourquoi choisit-on de devenir photographe ? Pourquoi passe-t-on des années, parfois sa vie, à cadrer et tenter de faire apparaître dans le rectangle ou le carré de vision ce qui intimement nous trouble ?

Isabelle Vaillant n’en avait pas conscience, mais un jeune homme, probablement amoureux d’elle lorsqu’elle était encore dans une longue fugue existentielle, lui déclara un soir, comme un oracle, ayant remarqué sa façon si avide et sensible de poser les yeux sur le monde : « Tu es photographe, mais tu ne le sais pas encore. »

©Isabelle Vaillant

©Isabelle Vaillant

Quoi de plus beau que cette fulgurance donnée comme une évidence ?

En effet, Isabelle Vaillant est une initiée spontanée.

Pas de formation académique, pas de leçons reçues dans ces écoles d’art où l’on candidate en espérant être autorisé à découvrir et exprimer qui l’on est, pas de normopathie visuelle, mais la vie à l’instinct, les sens en éveil, la curiosité dévorante.

Le visible permet l’accès à l’invisible, nos chemins sont parsemés de signes à déchiffrer, ou simplement à accueillir, au-delà de toutes les douleurs, comme des grâces : il n’y a rien qui ne fasse partie, André Breton en fit sa quête, d’un cryptogramme ayant la dimension du vaste vivant.  

La photographie est essentiellement pour Isabelle Vaillant le témoin d’un mystère, mais aussi une vibration d’émotion, douce, intense, violente.

©Isabelle Vaillant

©Isabelle Vaillant

Qu’il y ait mise en scène ou simple captation sur le vif, importe avant tout aux yeux de l’artiste la sensation d’une liberté prenant place dans une énigme.   

Une petite fille porte du rouge à lèvres pour s’amuser et essayer d’approcher l’autre en elle, des corps roulent sur la terre, une main s’avance, doigts de serres dont la caresse peut être une blessure irrémédiable lorsqu’elle n’est pas autorisée.

Le monde est rapace, mais aussi de pure donation.

Isabelle Vaillant choisit l’ensauvagement, l’apprivoisement n’est pas pour elle. 

Sa photographie est un acmé de présence, à l’instant, à l’environnement immédiat, à ce qui se meut en soi.

©Isabelle Vaillant

©Isabelle Vaillant

Nous sommes en Bretagne, mais l’on pourrait aussi bien se trouver en Géorgie chez Flannery O’Connor, ou dans les bayous, le particulier observé sans exotisme mène à l’universel.

A quoi s’arrimer lorsque le choix d’indépendance s’est imposé ? A l’art, aux ancêtres, aux lignées.

Un autre homme lui dit un jour, alors que tout chancelait une nouvelle fois : « Tu sais que tu sais, je sais que tu sais. »       

Sans appréhension, faisant confiance à son intuition, Isabelle Vaillant dialogue avec la création, toutes fenêtres ouvertes, avec l’animal, avec le végétal, avec l’enfant et les vieillards qui rient là-bas dans le champ à gorge déployée.

Son ancrage est celui de la glaise, de la ruralité, des fermes isolées, et du corps des êtres qu’elle aime, dont elle fait des arches pour traverser le déluge des temps.

©Isabelle Vaillant

©Isabelle Vaillant

Il y a dans ses images une atmosphère de conte et de vie pulsionnelle, une danse extatique s’inventant aux lisières de la mort.

Lorsqu’elle dessine ou peint, la recherche est la même : unité de fond avec l’archaïque, sensation d’une sorte de funambulisme ontologique, véhémence et tendresse d’Eros.

Les gnostiques nous le rappellent depuis longtemps : nous passons notre vie à dormir, nous sommes comme ensorcelés, il convient de traverser les apparences qui nous entravent.

Dans Une Saison en Enfer, Arthur Rimbaud l’a écrit : « Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. »

©Isabelle Vaillant

Par sa photographie, Isabelle Vaillant tente elle aussi de se rendre disponible à ce qui relève de la voyance.

Tel est l’art à son plus haut, comme un filigrane entre sacre et sacrifice. »

©Isabelle Vaillant

Exposition Isabelle Vaillant, au Petit Echo de la Mode, Châtelaudren (Bretagne), jusqu’au samedi 18 février 2023 – commissariat Isabelle Vaillant et Gilou Le Gruiec

©Isabelle Vaillant

https://www.petit-echo-mode.fr/

©Isabelle Vaillant

https://www.filigranes.com/livre/les-photos-du-dimanche/

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