
« De mon arrière-grand-père : ne pas avoir fréquenté les écoles publiques, avoir bénéficié de bons professeurs à domicile et avoir compris que, pour de telles fins, c’est un devoir que de dépenser sans compter. » (Pensées par soi-même, Livre I, Marc Aurèle)
Alors que je m’inquiète, à l’heure de renseigner avec lui ses vœux d’orientation sur la plateforme algorithmique Parcoursup, mon fils, qui a lu les Stoïciens, me rassure : « Papa, pourquoi te soucier de ce qui ne dépend pas de toi ? »
En effet, une fois l’action effectuée, et les frais d’évaluation de dossier pour les écoles publiques sélectives payés, autant relire Epictète, et son disciple Marc Aurèle, dont j’ai reçu il y a quelques mois le volume Pensées à soi-même, que je connaissais sous le titre – moins pascalien – de Pierre Hadot, Ecrits par lui-même.
Composés en grec, il s’agit, classés en douze livres, de réflexions brèves et aphorismes concernant l’intelligence de la nature, l’interdépendance des êtres, des choses et des phénomènes, la mort, la Raison universelle, le respect dû aux dieux.
« Les choses auxquelles tu es lié par le Destin, harmonise-toi avec elles. Les hommes auxquels tu es lié par le Destin, aime-les, mais vraiment. »
Cinquième et dernier empereur de la période dite de la Pax Romana – pour lui, il y eut à peine cinq ans de paix sur dix-neuf ans de règne -, Marc Aurèle (121-180) rédige en grec, à des fins personnelles, comme des exercices, des pensées lui permettant de faire face aux situations et de se rappeler les fondamentaux de son être au monde.
Le souci de soi et l’examen de conscience sont de nobles tâches auxquelles s’adonne l’ami amoureux du rhéteur Fronton, pour qui l’attention envers le présent et la vigilance spirituelle – obéir aux parfaits desseins de la Nature – sont les gages d’une vie droite, si ce n’est réussie.
Il ne convient pas de réagir – à tel ou tel stimulus extérieur, ou telle ou telle passion dévorante -, mais d’agir avec rectitude morale, sans trouble, avec une ferme modestie.
« Songe souvent à la concaténation de tous les événements du monde et à leur état de réciproque dépendance. Car toutes les choses sont en quelque sorte entre-tissées, et ce faisant, toutes sont amies les unes des autres. L’une en effet s’enchaîne à l’autre à cause du mouvement ordonné, du souffle commun et de l’unité de la substance. »
Nous allons mourir tout à l’heure, l’instant est notre trésor, ne le précipitons pas, ni dans le passé, ni dans le futur.
« Creuse dans ton intériorité. Au-dedans de toi se tient la source du bien, qui toujours peut jaillir si tu creuses toujours. »
Repousser les impressions embarrassantes, se réfugier en soi, entrer dans le royaume du calme.
Tout paraît séparé, mais tout est lié, et chaque chose a sa place.
« Est-ce que le soleil s’arroge le droit de remplir les fonctions de la pluie, et Asclépios celles de la déesse porte-fruits ? Et que dire de chacun des astres ? Ne sont-ils pas différents tout en coopérant à la même œuvre ? »
Dieu est le principe, d’autresn avec Dante, diraient l’amour universel, et d’autres encore la Raison.
« Chaque chose a été faite en vue d’une fin, le cheval, la vigne. Pourquoi t’en étonner ? Le soleil en personne dira : « Je suis né pour une fin », tout comme les autres dieux. Mais toi, pour quelle fin es-tu né ? Examine si cette pensée est supportable. »
Et ceci, parmi tant d’autres réflexions essentielles (Livre XI) : « Tu ne pourras être un maître dans l’art d’écrire et de lire sans avoir eu toi-même un maître. Il en va de même, à plus forte raison, quand il s’agit de l’art de vivre. »

Marc Aurèle, Pensées à soi-même, traduit du grec, annoté et préfacé par Pierre Maréchaux, collection « Petite Bibliothèque » dirigée par Lidia Breda, Rivages poche, 2022, 398 pages
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