
Christophe Esnault, cheveux coupés, Jérôme Bosch, musée du Prado, Madrid
« Le confinement a des avantages : elle peut se masturber toute la journée. Et du coup, le soir elle a ses deux mains disponibles pour applaudir très longtemps. Bien plus longtemps que sa voisine de balcon. Celle qui reçoit trois hommes par semaine et parfois en réunion alors que c’est interdit. La grosse nympho. »
Si vous l’avez déjà lu et avez été soumis comme moi à sa drôlerie bouffonne, vous avez sûrement considéré Christophe Esnault comme un cas contact littéraire hautement contagieux.
Il faut faire attention, la littérature peut mener à l’exclusion sociale, les voisins surveillent vos rires.
D’aucuns fieffés sachants de la gent universitaire à qui je le présente sans relâche afin qu’il l’inscrire à leur programme le trouvent de mauvais goût.
Je ne m’indigne pas, il l’est bien entendu, c’est même cela qui le sauve de la formolisation générale.
« Avant, j’étais gilet jaune. Le samedi, j’étais gazé. On me plaquait au sol. On me traînait sur dix mètres. On me donnait quelques savoureux coups dans les côtes. J’avais un corps. Aujourd’hui, je suis puni. Plus d’approche tactile. Aucune. »
Publié chez Cactus Inébranlable, maison d’édition wallonne – indépendante, autonome, impertinente et alternative -, Hilarité confite ne dément pas la mauvaise réputation du héraut des belles-lettres inconvenantes.
Composé d’un unique paragraphe par page, cet ouvrage propose des saynètes jubilatoires et des réflexions de haute volée comique écrites à la première personne.
« Habituellement, je vends du crack et des barrettes de shit, mais là j’ai dû me recycler, faire face à de nouvelles demandes. On a surveillé des entrepôts. Pillé le stock de deux hôpitaux. On a un peu plus de 40 000 masques. Les premiers, on les vend 10 balles pièce. C’est-à-dire à prix d’ami et par sachets de 10. Mais on n’est pas des débiles, on va augmenter nos tarifs dès qu’on sera suffisamment lancés et identifiés comme des fournisseurs sérieux, éthiquement irréprochables. »
Le confinement nous a rendus encore un peu plus fous, après avoir remis, l’instant d’un printemps, quelques pendules à l’heure.
« L’humain est une espèce invasive et il est grand temps de savoir l’éradiquer. Le Graal, ce serait une pandémie qui ne ferait pas moins de sept milliards de morts. Tout le monde s’accorde là-dessus, sauf les divers gouvernements qui prennent des mesures drastiques pour que la population puisse mourir d’une autre mort que celle-là. Plein d’autres morts pourtant pas vraiment fameuses. Je m’incline et me supprime la semaine prochaine (avec du Doliprane et de la Kro), car pour penser le monde et son futur, je n’ai pas peur de mettre le paquet. »
Mais, soudain, alors que j’ouvre L’apatride culturel, qui paraît conjointement chez Ars Poetica, la voix se fait plus intime, plus douloureuse, et même déchirante.
« & parler de littérature / Au PMU & au bar du marché / Ça revient à te mettre du rouge aux lèvres / A t’habiller d’une chemise trop colorée / Ça crée une menace / Une atteinte à la virilité / Qui peut soudainement / Si tu n’es pas assez discret / Provoquer le coup de poing »
Confondue avec l’élite intellectuelle porteuse de menace pour qui a subi son mépris, la littérature est reçue comme un instrument supplémentaire de domination.
Se taire alors, entrer au désert.
De toute façon, avec qui parler ?
« Tu vis depuis plus de quinze ans dans une ville / & techniquement / Tu as plus de chances de rencontrer un ami / Par hasard / Dans une autre ville »
Solitude, relégation sociale, ennui.
Et puis, ces mots, qui sauvent un peu : « Si vous ne voyez pas / Le rapprochement entre / La poésie & la pêche / La pêche qui a émerveillé mon enfance / A été ma passion première / (sauf si j’oublie le sein de ma mère / & autres souvenirs lointains) / C’est que vous n’avez pas passé / Un grand nombre d’heures / Au bord de la Loire / A contempler / & à vivre / Les merveilleux nuages »

Christophe Esnault, L’apatride culturel, illustration Aurélia Bécuwe, Ars Poetica, 2023, 112 pages

Christophe Esnault, Hilarité confite, suivi de Cas contact de cas social, Cactus Inébranlable éditions, 2023
https://cactusinebranlableeditions.com/produit/hilarite-confite-suivi-de-cas-contact-de-cas-social/
Déjà paru chez Cactus Inébranlable : Mollo sur la win, nouvelles, coécrit avec Lionel Fondeville (2021), chroniqué le 21 mai 2021 sous le titre Du boulot pour les psys
Lionel Fondeville et Christophe Esnault sont à l’initiative du projet littéraire, musical et cinématographique Le Manque – plus de vingt clips visibles sur YouTube
Coda : « C’est la pornographie qui m’a mené vers / Les revues / Puis vers les livres / C’est la pornographie / Qui m’a fait aimer les livres / Aimer les livres & la littérature / Jusqu’à de boulimiques sommets / Là où l’école & les professeurs / M’avaient seulement aidé à les avoir / En détestation »

https://www.leslibraires.fr/livre/22257327-hilarite-confite-suivi-de-cas-contact-de-cas-s–christophe-esnault-cactus-inebranl?Affiliate=intervalle