
Apollon et Daphné, galerie Borghese, Rome, Le Bernin
« Ma blessure existait avant moi, je suis né pour l’incarner. » (Joë Bousquet)
Mathieu Terence a coutume de dire qu’il a écrit plus de livres qu’il n’a de lecteurs.
Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus, tant il est certain que la qualité de son écriture et la force de sa pensée toute personnelle – notamment dans l’étude du délire transhumaniste – touchent quiconque le lit pour la première fois en ne pouvant dès lors oublier son nom.
Il faut simplement faire le premier pas, et ne pas seulement s’en remettre aux avis germanopratins piégés, ou au silence conformiste des relais critiques patentés.
Mathieu Terence vit loin, très loin, à Biarritz, où mourut d’un arrêt cardiaque la femme de sa vie en essayant de sauver de la noyade un enfant.
Elle était psychanalyste, de renom, il l’est devenu, fidèle en cela à son amour qu’il ne parvint pas à sauver en tissant autrement les fils de son destin.
Avec Les quatre vies d’un amour, l’auteur de l’essai De l’avantage d’être en vie (Gallimard, 2017) retrace de façon ardente, et très analytique, les étapes d’une rencontre fondamentale, de celles qui laissent à terre durablement lorsque la mort s’en mêle.
Il n’est pas si facile de lire cet ouvrage – ni de le relire puisque je procède ainsi pour toute chronique -, tant les résonnances peuvent être nombreuses lorsqu’on connaît l’amour et ses déchirures.
Que reste-t-il lorsque tombe la clef de voûte ?
Mais, comme le pensent l’auteur et sa belle amie, « il y a peu d’accidents véritablement accidentels ».
Le hasard est cousu de fils blancs et noirs et ors, parvenir à les déceler et les comprendre peut être l’affaire de la poésie au sens large, et du roman en particulier.
Prenant appui pour voyager ensemble (Sils-Maria, Duino, Saint-Petersbourg) sur le parcours biographique de Lou Andreas-Salomé la fascinante – Nietzsche, Rilke et Freud vécurent sous son envoûtement -, appelant de façon poignante son dernier chapitre L’absence, Les quatre vies d’un amour est un livre de fulgurances à deux et de deuil dont on ressent qu’il fut presque impossible à écrire.
Il fait mal, c’est un bon et atroce roman, comme la vie la plupart du temps.
Le motif de la noyade apparaît déjà dans un précédent ouvrage de Mathieu Terence, Mina Loy, éperdument (Grasset, 2017), rappelant la mort en mer du poète Arhtur Cravan : l’art invente-t-il notre futur ou le devine-t-il ?
On se souvient que Joë Bousquet avait écrit, bien avant qu’elle ne se produise, la terrible blessure par balle du 27 mai 1918 qui allait le clouer au lit toute sa vie etr le rendre impuissant.
Ecrits au présent sous la forme de plusieurs carnets de voyage adressés au-delà de la mort à celle que le livre prénomme Ariane, femme qui rit, femme qui jouit, femme retrouvant le goût de la liberté dans les bras et par les mots de son amant, Les quatre vies d’un amour est un livre où le corps dans le plaisir est omniprésent, lé désir naissant d’abord de la complicité dans la conversation.
« C’est parce que nous avons des choses à nous dire que nous avons de l’amour à nous faire. »
Ariane vit avec un comédien célébré, petit maître insupportable de l’avant-garde académique, et de gauche forcément, dont le chantage affectif s’avère cependant efficace – si tu me quittes, je me tue -, elle a deux enfants, Luna, dont le père est musicien, et Benjamin, plus jeune, souffrant de la mésentente entre ses parents. Elle possède de l’argent venant d’abord de sa famille, peut-être compromise durant la Seconde Guerre mondiale, dont elle fait profiter chacun – il faut bien se racheter.
Son emploi du temps est très chargé, il s’agira donc d’ouvrir des intervalles, de passer dans le chas d’une aiguille, d’écarter ensemble les barreaux sociaux.
L’amour comme la littérature est pour les clandestins, tout le reste n’est qu’ameublement, manigances, fadeurs, faussetés rentabilisées par le Spectacle, par Lézautres et pour Lézautres.
Il y a chez Mathieu Terence – très fort dans le don des formules qui touchent au vif – du Philippe Muray et de la charge antimoderne : comment être autrement, quand la culture et la sentimentalité nourrie de ressentiment ont remplacé l’art ?
« Le plus petit dénominateur commun n’est pas l’humanité, mais le portable. » / « Les bancs publics transformés, ici aussi, pour ne pas abriter ou accueillir les clochards, les errants (lesquels grands dieux ?). Le Paria, la figure honnie et sanctifiée, sanctifiée parce que honnie, de la Technosmose. Le mobilier urbain signe plus l’esprit d’une époque que les vœux du nouvel an du Président. Et toutes proportions gardées, J.C. Decaux est notre Albert Speer. »
Eux, loin de la vilénie, se donnent rendez-vous dans son studio proche de la Tour-Saint-Jacques, avant que d’élargir peu à peu l’horizon, se donnant rendez-vous à Grenade – où il est plus facile de vivre avec mille euros par mois -, puis sur la côte atlantique.
Elle lui apprendra à être père, d’un petit Marcello, il lui apprendra à prendre soin d’elle-même, écoutant celle qui écoute, adorant sa voix suave, respectant ses secrets tout en l’autorisant à les lever.
« Avec elle dans les parages, je me sens plus à ma place sur terre. Son tact, sa stupéfiante bonté en font une femme médicinale. Reste à ne pas la cantonner là en lui évitant les situations où elle doit exprimer sa vertu essentielle. »
L’amour est-il un événement ? Oui. C’est un instant d’arrêt, une stupeur, puis une longue crue.
Elle est plus âgée que lui, ce qui tempère son ascendant naturel, tout va bien, ils se sont rebaptisés Nous.
« Le contraire de Nous, c’est On, la coterie, Lézautres », dont le comédien et sa clique sont de parfaits représentants.
« Nous conspire contre Lézautres, les croque-morts en Agnès B. et leurs vacances en société, la Grèce fois le Luberon. »
Il ne convient pas de former un couple, mais un duo, de respirer ensemble, de conspirer donc.
Aveu : « Je crois plus au nuptial qu’au conjugal. »
Elle plonge nue dans un lac gelé, la femme raisonnable est au fond très fantasque, elle croit en la numérologie, a des « orgasmes minotaures ».
Mais Benjamin va mal, Ariane l’innocente – dans un monde coupable – retourne vers son acteur, impose à son amant une rupture douloureuse, qui ne tiendra pas.
« Aujourd’hui, je fais le malin. Elle est là, en culotte à côté de moi, en train de s’émerveiller de la vue sur la Volga à la fenêtre de notre chambre. »
Puisque l’amour dure, dit-on, sept ans, il faut peut-être se tuer après quelques années pour ne pas en perdre la dimension géniale.
Foutaise, l’amour est la voie d’accès royale à l’éternité, à chaque instant renouvelé dans l’éternel retour du même.
Elle : « Il faut croire en la tragédie, c’est le lieu le plus proche de la vérité. »
Nourri de freudisme et de tragédie grecque, Les quatre vies d’un amour est un livre de dimension cathartique bourré de vie, de drôlerie, et de réflexions qui font mouche.
« Oui, tu aurais continué d’avoir du pain sur la planche. Et encore, tu as manqué l’épisode Covid, étape supplémentaire dans l’ingénierie du parc humain inhumanisé. Ce ne fut pas beau à voir, la facilité avec laquelle les populations acceptèrent et pour beaucoup se réjouirent de leur quotidien aux ordres des mesures pénitentiaires prises contre la pandémie. Bouffée délirante du scientisme technocratique. J’ai vu le monde devenir ce grand hôpital de jour dont nul n’avait plus spécialement envie de sortir. Il faur dire que la vie, on en meurt. »
Rilke entendit un ange quand il écrivit sa première Elégie, le mystère existe, la solitude peut se conjuguer à deux.
Tiens, la revoici : « Elle s’est tout de suite déchaussée, elle est montée pieds nus sur mes espadrilles pour nouer ses bras autour de mon cou. Son corps se serre, m’épouse, et je l’enlace en empoignant ses belles fesses. »
Lui : « La vie ne m’intéresse que si c’est une aventure ruineuse. Richissime d’expériences, et sur la jante. »

Mathieu Terence, Les quatre vies d’un amour, Grasset, 2023, 316 pages
https://www.grasset.fr/auteurs/mathieu-terence

Merci Fabien pour votre relais de l’ouvrage du précieux Mathieu Terence. Je n’en avais pas encore eu vent, la
journée s’est donc fendue ici par la joie.
(une précision simplement, A. est décédée à Ramatuelle, non à Biarritz comme suggeré)
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Une seule citation m’a paru tenir la route: que MT a produit plus de « textes » qu’il n’a de lecteurs. Comme d’habitude avec lui, ce texte est incroyablement boursouflé, prétentieux, vide, bancal. Il est surtout incroyablement gênant et indécent. Faut-il qu’il y ait peu de textes ayant une quelconque valeur à publier pour que les éditeurs se tournent vers de pareils pensums ?
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