Degas, vers le mystère, par Henri Loyrette, historien de l’art

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Jockey blessé, 1897, Edgar Degas

Nous connaissons Degas, ses danseuses, ses jockeys, ses femmes au bain, mais nous ne le connaissons pas. 

La nouvelle parution de Degas, « Je voudrais être illustre et inconnu », ouvrage composé par Henri Loyette, conseiller d’Etat, ex-directeur des musées d’Orsay et du Louvre, nous permet de découvrir un artiste plus divers, secret, et passionné – notamment pour les nouvelles techniques – que nous ne le pensions peut-être.

Quelques faits, le reste est à lire, et voir dans l’exposition que lui consacre, en compagnie d’Edouard Manet, le musée d’Orsay.

Le père Auguste De Gas est banquier, comme celui de Paul Cézanne. Les soucis d’argent viendront, mais tard.

En 1855, son fils lave le visage en sang de monsieur Ingres, tombé devant lui.

Sur les quinze autoportraits qu’il réalise entre 1850 et 1860, le peintre semble toujours « distant et dubitatif ».

De 1856 à 1859, l’artiste séjourne en Italie, Rome, Florence, puis Naples où vit sa famille paternelle.

Il entre en 1870 au Salon avec Scène de guerre au Moyen Âge.

Manet et Degas s’admirent, se blessent, se commentent.

Il part en 1872 à La Nouvelle-Orléans où se trouve une grande partie de sa famille maternelle.

Il emploie, comme Maurice Quentin de La Tour, « la poussière d’aile de papillon », soit le pastel, et se targue d’avoir inventé le monotype.

La Fête de la patronne, 1876-1877, Edgar Degas

Il s’interroge : « J’ai peut-être trop considéré la femme comme un animal. » Il la peindra dans tous ses états, jusqu’aux prostituées, naturellement, crûment. La Fête de la patronne (1876-1877), scène de bordel, appartint à Picasso qui l’acquit en 1958.

Il est antidreyfusard.

A cinquante ans, Degas vend bien, mais il est morose, désabusé, et compense sa solitude par sa vaste collection de maîtres de la peinture.

En 1889, il est en Espagne et au Maroc, voit des Velasquez, se souvient de Delacroix.

Vincent Van Gogh écrit à Emile Bernard : « La peinture de [Degas] est virile et impersonnelle, justement parce qu’il a accepté de n’être personnellement qu’un petit notaire ayant eu horreur de faire la noce. Il regarde des animaux humains plus forts que lui, qui [baisent] et [baisent], et il les peint bien, justement parce qu’il n’a pas tant que ça la prétention de [baiser]. »

En 1895, alors qu’il se sent vieux et multiplie les remarques amères, il se passionne pour la photographie.

Le repos ? Allons, allons, la mort arrivera ce soir, ou même plus tôt encore.

Degas cherche encore, peint des « orgies de couleurs ».

Nous sommes dans les années 1900, sa puissance est presque expressionniste.

« Les thèmes, écrit Henri Loyette, restent les mêmes, mais simplifiés, réduits à l’essentiel, avec un dédain de plus en plus affiché de la vraisemblance. Degas se moque du réalisme auquel, au début des années 1880, il avait tendu : les jockeys errent désormais dans des campagnes imprécises, morphologiquement incompréhensibles et qui n’ont plus rien à voir avec un quelconque champ de course ; ils vont, vêtus de toques et de casaques toujours plus vives, on ne sait trop où, on ne sait trop pourquoi. »

C’est pour cette errance ultime que Degas l’installé, fou de peinture, reste un mystère.

Henri Loyrette, Degas, « Je voudrais être illustre et inconnu », collection Découvertes, Gallimard, 2023, 160 pages

https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Decouvertes-Gallimard/Decouvertes-Gallimard

Ouvrage initialement publié en 1988

Exposition Manet/Degas au musée d’Orsay (Paris), du 28 mars au 23 juillet 2023

https://www.musee-orsay.fr/fr/agenda/expositions/manet-degas

https://www.leslibraires.fr/livre/1950402-degas-je-voudrais-etre-illustre-et-inconnu-henri-loyrette-decouvertes-gallimard?affiliate=intervalle

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