
©Dana Cojbuc
La photographie est une empreinte, un calque un peu tremblant, une belle endormie, une tromperie.
Pour la sauver de sa vanité en soulignant la beauté de son évanescence, il faut peut-être lui proposer de dériver, de se rêver autre, de muter.
Par son intervention à la mine graphite sur des photographies prolongées par ses traits, l’artiste d’origine roumaine Dana Cojbuc opère un formidable travail de déplacement et d’appropriation, ce dont témoigne avec splendeur son livre autopublié intitulé Yggdrasil.
La nature dessine ce que la main de l’homme tente d’approcher, une communauté d’êtres, une même veine de chaleur coulant entre les règnes et les espèces.

©Dana Cojbuc
Nous sommes en Norvège, en un champ énergétique premier, parmi les arbres unissant le terrestre et le céleste.
Mais le paysage est aussi une invention, Dana Cojbuc modifiant par la simple édification d’une branche tombée puis redressée par ses soins ce que le temps géologique, les marées et les saisons ont façonné.
Comme un totem pauvre en temps de détresse.
Comme un geste de land art minimaliste.
Comme une façon de déjouer la naïveté réaliste.
Comme la transformation de l’équilibre général par le battement d’aile d’un papillon.
Le soulèvement d’une plume peut-elle initier un mouvement de révolution ? Oui.

©Dana Cojbuc
Des doubles pages à rabat se déplient, la forêt nous regarde en panoramique, intimidante, hautement présente.
La question n’est pas de déterminer à quels endroits l’artiste a continué le tracé de la nature, mais d’éprouver physiquement la génialité de la vie, qu’elle prenne telle ou telle forme, qu’elle soit artefact ou non.
Une étrangeté se lève, l’homme est un dieu taquin quand il n’est pas un monstre.
La présence du blanc est propice à la paix, il ne faut pas remplir l’espace, surtout pas, mais suggérer des variations musicales, des chevauchements de notes, des possibilités d’existence en-dehors du cadre.
Aux confins du monde, à l’extrémité des traits, dans la froideur et la nudité des végétaux étiques, il y a la rédemption par la précision et la générosité de la main de ce qui pourrait être uniquement de l’ordre de la catastrophe, ou d’une désolation intime.

©Dana Cojbuc
Non, le bouleversement de la terre n’est pas un désastre psychologique, mais une autre façon de se lier, de se régénérer, de se réinventer.
Yggdrasil nous indique que, si tout est à recommencer, tout est aussi à continuer dans la flottaison d’une main et d’un corps tout entier engagés dans la conscience de ce qui demeure en se renouvelant.
Afin que la tectonique du sens s’approfondisse encore, Dana Cojbuc a confié à Caroline Solé l’écriture d’un texte placé à la fin de son livre, et c’est la fiction d’une femme échouée, morte, sur un rivage rude.
Est-ce un suicide ? un accident ?
Il faut réexaminer minutieusement chaque image d’Yggdrasil, il y a peut-être des indices.

Dana Cojbuc, Yggdrasil, conception Dana Cojbuc & Marie Sepchat, texte Caroline Solé, conception graphique Dana Cojbuc & Caroline Salmon, 2022 – 300 exemplaires

https://danacojbuc.net/fr/dana-cojbuc-francais/

©Dana Cojbuc
Exposition Dana Cojbuc à La chambre claire Galerie (Douarnenez, Finistère), du 8 avril au 20 mai 2023

©Dana Cojbuc
Bravo Fabien ! texte magnifique pour une photographe exceptionnelle ! Que du bonheur à La Chambre Claire Galerie à Douarnenez…
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