
©Nolwenn Brod
Il y a dans toute l’œuvre de Nolwenn Brod, qui est admirable, une dialectique constante entre la violence intérieure et les chemins de libération, entre la pudeur et la franchise du corps, entre le silence et l’expressivité des visages.
C’est une tension entre la sensation d’enfermement et la brûlure intime, entre l’extase et la chute.
Une exposition en cours aux Champs Libres de Rennes permet de mesurer l’étendue de son univers, depuis la série remarquée consacrée à la lutte traditionnelle bretonne (Ar gouren) aux dernières images témoignant d’une vision éminemment singulière de la ville de Brest – où l’artiste est née sans y avoir vécu – intitulée, probablement d’après le film de Philippe Garrel, Les hautes solitudes.

©Nolwenn Brod
Deux vidéos accompagnent cet ensemble de grande intensité, Lutte au crépuscule, film inspiré par le tableau de Paul Gauguin, La vision après le sermon (1888) faisant référence au combat entre Jacob et l’Ange, et Qui chante les lèvres fermées, sur la réinvention du rite ouessantin de la Proëlla, qui est une façon par la confection de croix de cire de célébrer les corps perdus en mer.
L’antithèse présente dans le titre de cette seconde vidéo clôturant l’exposition métaphorise parfaitement la poétique de Nolwenn Brod, entre nécessité d’imaginer collectivement des gestes symboliques et sentiment d’absence, de perte, d’outre-monde.
Les corps, des enfants, des jeunes hommes et femmes, des anciens, sont ceux d’aujourd’hui, indubitablement, mais sourd d’eux quelque chose de l’antique, et du tragique.

©Nolwenn Brod
On voit des fentes, des failles, des fissures.
On voit le rose aux joues et le trouble des émotions.
On voit la tension, très perceptible dans la chromie, entre les atmosphères nocturnes, voire enténébrées, et la vie se déployant au grand jour sur une arène de pierre et de mer, sur la terre et sous les ciels.
On voit le sacrifice, qui est celui de la déchirure du huis-clos intérieur.
Nolwenn Brod photographie des mystères d’êtres, de corps, d’attitudes.

©Nolwenn Brod
Nombre de ses images relèvent de l’étude classique du modèle vivant, une tombée de main, une torsion de cou, une posture faisant bomber le sein.
Un chien blanc debout sur un matelas est enfermé dans un appartement.
Ce quadrupède, c’est nous, c’est notre désir de sortir et d’hurler, c’est la part de sauvagerie que l’ogre social ne parviendra pas à dévorer.
Les portraits, dans la force de ce qui se réserve à la monstration comme à l’interprétation, exposent des éclaircies, et, malgré tous les conditionnements, ce qui ne s’arraisonne pas, la complexité d’un parcours biographique, l’écheveau des contradictions, souffrances et quêtes d’absolu nous structurant.

©Nolwenn Brod
L’être de sous-sol est aussi puissance de lumière et d’irréductibilité.
On vacille, on cherche l’équilibre, on atteint enfin un point de repos, et l’on tombe de nouveau, vaincu par l’ange éprouvant notre solidité morale.
Dans la lande d’une île plantée au Levant comme un dernier paradis se présente un groupe d’hommes et femmes, endeuillés.
Ils cheminent ensemble dans la douleur, dansent ensemble, se signent ensemble de façon inédite à la porte d’une chapelle.

©Nolwenn Brod
Dieu est mort, nous ne cessons de vivre à chaque instant dans une dimension de profanation et d’avilissement, et pourtant, là-bas, en ces territoires celto-bretons éloignés des maléfices des séculiers forcenés, tels des hiératiques d’Ingmar Bergman, des individus dont on peut se demander s’ils sont encore vivants eux-mêmes prennent soin du cadavre absent de l’un des leurs.
Cette communauté modeste titubant à l’extrême-pointe de l’Occident semble ainsi sauver, par l’entêtement de ses gestes sacrés, l’humanité entière.
A l’orée de l’exposition le dessin d’une croix gigantesque composée d’une multitude de petites croix de cire associées évoque une composition fameuse de Piet Mondrian, Composition 10, Pier and Ocean (1915).

©Nolwenn Brod
Un chant s’élève, c’est un gwerz.
Non, nous ne sommes pas seuls, même si nous sommes si peu de ce monde.
Exposition Les hautes solitudes, aux Champs libres (Rennes), du 26 novembre 2022 au 26 novembre 2023
https://www.leschampslibres.fr/index.php?id=1564
La série Les hautes solitudes et le film Qui chante les lèvres fermées ont été créés dans le cadre d’une résidence de création proposée par le Musée de Bretagne aux Champs libres de juillet 2021 à août 2022 – direction du projet Corinne Poulain et Céline Chanas, coordination générale de l’exposition Kellye De Vasconcelos, textes Céline Chanas, Gilou Le Gruiec, Magali Le Mens, graphisme Stéphane Dumas

Dans le livre Brest Polyphonie, publié aux éditions du Parapluie Jaune, est exposé sous la forme d’un portfolio un bel ensemble des images de la série Les hautes solitudes
https://www.librairiedialogues.fr/editeur/parapluie-jaune/

©Nolwenn Brod
Nolwenn Brod est représentée par la Galerie VU’, Paris

Il me semble qu’au 18e siècle en Irlande, les gens de petite condition circulaient comme ceci en file dite indienne…
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