Le passé nous regarde, par Mathieu Pernot, photographe

©Musée de Bretagne/Les Champs Libres

Accompagnant l’exposition La vie en photographie, de Mathieu Pernot, ayant lieu jusque décembre 2023 au Musée de Bretagne, Les Champs Libres, à Rennes, le catalogue éponyme, publié par Gwinzegal (Guingamp), souligne l’importance du fonds photographique de cette institution riche de plus de 500 000 pièces.

Cet événement artistique – proposé en parallèle de l’exposition de Nolwenn Brod, Les Hautes Solitudes (voir mon article du 23 avril 2023) – revient sur les grandes heures de la photographie en Bretagne, entre la fin du 19^ème siècle et les années 1970, mêlant fonds personnel de Mathieu Pernot et archives patrimoniales.

« En 2014, explique-t-il, je fis l’acquisition d’in lot de tirages argentiques couleur 9x9cm, montrant les vitrines de studios et magasins de photographies en Bretagne et dans l’ouest de la France. Cet ensemble, probablement réalisé par le représentant de l’entreprise Kodak en 1965, constituait un témoignage précieux sur la présence de ces commerces sur l’ensemble du territoire, des grandes agglomérations aux petits villages. Cet ensemble d’images d’archives a constitué le point de départ d’une enquête photographique qui m’a conduit à retrouver ces mêmes lieux plus de cinquante ans après. Le constat était sans appel : les studios et ateliers de photographies avaient disparu, emportés par l’apparition de la technologique numérique. »

©collection Mathieu Pernot

Mettant ainsi en scène sous vitrine onze diptyques photographiques (autrefois/aujourd’hui), le photographe né en 1970 ia imaginé un dispositif en trois autres points : la vie en photographie (quarante-neuf photographies issues de fonds bretons montrant les différentes étapes de la vie), la dernière photo (de la pratique de la photographie mortuaire) et les studios photographiques (le Musée de Bretagne conserve plus d’une centaine de fonds, parfois très abondants).

©Mathieu Pernot

« En observant ces images, écrit Mathieu Pernot questionnant le ça a été barthésien, un étrange sentiment peut alors traverser le spectateur : celui de se sentir regardé par le sujet représenté. Comme dans un jeu de miroir où tout aurait été inversé, les modèles semblent nous dévisager et nous demander qui nous sommes et ce que nous voyons en eux. Dans un silence de plomb, ces figures ancestrales nous montrent d’où nous venon. Elles nous demandent de nous souvenir de l’enfant que nous étions autant que nous projeter dans la personne âgée que nous serons. »

On se souvient de la présentation récente du fonds Kerdudo par les éditions Filigranes (voir mon article publié le 7 août 2019), des trésors photographiques ne cessant d’être découverts, restaurés et transmis – la fragile matérialité du support nous rappelant la précarité de nos mémoires -, que l’on songe par exemple au fonds Félix Arnaudin dans les Landes, inspiration d’un projet en cours de Dana Cojbuc, ou au fonds Eugène Truta à Toulouse, qu’a photographié splendidement Guillaume Herbaut (exposition en cours au Muséum d’Histoire naturelle de cette ville).

©Musée de Bretagne/Les Champs Libres

Dans un très beau propos concluant le catalogue, la conservatrice-restauratrice Gwenola Furic cite pour évoquer son travail le poète Xavier Grall : « Nous ne possédons le monde que dans la mesure où nous savons en reconnaître les plaies, en sonder les reins déchirés, et y porter l’onguent et le remède. »

Soigner le legs permet de lui insuffler une vie nouvelle et de le réinventer.

Mathieu Pernot, La vie en photographie, textes Mathieu Pernot, Laurence Prod’homme, Gwenola Furic, graphisme Clarisse Schvartz, Gwinzegal/Musée de Bretagne 2023

https://www.mathieupernot.com/

https://gwinzegal.com/editions/la-vie-en-photographie