Gamlestan, centre du monde ouvrier, par Susanne Otterberg, photographe

©Susanne Otterberg

J’aime beaucoup les éditions suédoises Journal, qui nous offrent le monde sans apprêt, et de façon, comme on le dit aujourd’hui, immersive.

From Gamlestan With Love est un livre de Susanne Otterberg sur ce quartier industriel de Göteborg ayant abrité pendant longtemps une fabrique de roulements à billes.

La réputation de ce territoire ouvrier s’était dégradée, mais maintenant c’est un quartier recherché, à la mode, accaparé par les étudiants et la nouvelle bourgeoisie culturelle.

©Susanne Otterberg

N’ayant surtout pas voulu oublier les racines profondes de Gamlestan, où des habitants occupent parfois depuis plusieurs générations des immeubles construits pour la grande fabrique suédoise, Susanne Otterberg a conçu une série photographique en hommage au peuple qui la touche.

De belles et longues jambes attendent le visiteur (couverture). Elles ne sont pas jeunes, mais elles sont très belles et manifestent une véritable envie de vivre et de séduire encore.

Une jolie petite grand-mère au pull en V arlequin couleur prairie nous salue un verre d’alcool à la main, avant que de laisser la place à un groupe d’adolescentes souriantes (doudoune noire de rigueur), c’est certain nous allons être bien ici.  

©Susanne Otterberg

Peau ridée, casquette US, robe à motifs indiens, regard de défi, les femmes de Göteborg en ont vu d’autres que les minots de la critique photographique.

Tatoué à peu près intégralement, un biker nous la joue intello avec ses petites lunettes rondes à la Walter Benjamin.

Composé de portraits et de paysages urbains – circonscrivant le quartier de toutes les humanités -, From Gamlestan With Love est un livre de fraternité ouvrière et de fêtes (dans les bars), de visages neufs (la jeune femme Black portant sur la tête un paquet de prospectus) et de grandes solitudes.

Les corps ne sont pas ceux des boutiques du centre-ville, ils ont vécu, trinqué, absorbé beaucoup de luttes et de nuits blanches.

©Susanne Otterberg

Voici les petites maisons des travailleurs, les serres miniatures où jardiner, et les cicatrices des êtres les plus abîmés.

Aucune plainte ou délectation morose chez la photographe, mais un vitalisme ne masquant pas les difficultés, et une empathie envers chacun.

Des ciels ponctuent l’ouvrage, c’est le temps qui passe dans toute sa majesté.

Une femme pleure, la fin du jour a la gueule défoncée, une angoisse monte avant d’être transformée en ivresse.

©Susanne Otterberg

Il y a du far-ouest à Gamlestan, une énergie de transgression, un jeu avec les limites et l’ordre social convenant aux nantis.

On lève sa chope, on rit, on fume, on sue ensemble, on ajointe des rêves trop courts.

On bricole.

L’esprit est à la common decency (Orwell) et au carnavalesque.

©Susanne Otterberg

Il faut tenir dans l’existence, on chute très vite, les autres peuvent nous sauver, au moins quelques heures, quelques jours, quelques mois, quelques années.

Une femme au corps ample pose nue, elle est superbe, c’est l’allégorie de la liberté appelée Gamlestan.   

Susanne Otterberg From Gamlestan With Love, design Gösta Flemming, Journal (Suède), 2022, 160 pages

https://susanneotterberg.carbonmade.com/

©Susanne Otterberg

https://journal-photobooks.com/products/susanne-otterberg-from-gamlestan-with-love

Laisser un commentaire