N’Djaména, ville plurielle, par les éditions Créaphis

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« La nuit tombe sur N’Djaména. Elle vous assomme d’un prompt coup de massue et vous fait oublier jusqu’à la mémoire de ce que vous étiez venu faire. Peut-être vouliez-vous compter combien de rues ne ressemblaient pas aux autres, ou écouter les récits des peuples innombrables, rassemblés pour bâtir ici le rêve d’une nation dont ils n’ont pas encore fait le récit. » (Patrick Giraudo)

Initié par l’Institut français du Tchad, N’Djaména, qu’ont publié en 2014 les éditions Créaphis, est une vision très riche, en textes (prose/vers) et photographies, de ce pays somme toute assez peu connu dans sa diversité.

Cité issue pour une grande part de la colonisation française, l’ancienne Fort-Lamy garde de son passé d’occupation des rues au nom rappelant les villes de l’Hexagone et une logique de découpage urbain issue de la pensée rationaliste administrative à la française.

N’Djaména est un livre mosaïque, alliant à la fois visions nocturnes (Philippe Guionie, Abdoulaye Barry), regards sur des activités quotidiennes (le collectif Photocamp-Tchad), réflexions sur la forme – gracquienne, mouvante – de la ville (Anissa Michalon, André Lejarre), portraits d’habitants (Olivier Pasquiers) et des institutions (Maurice Weiss).

Dans son propos introductif, le célèbre écrivain tchadien Nimrod décrit une ville électrique, brutalisée par la modernité sans nuances, et la persistance des bougainvillées.

« La ville est en fièvre, elle bouge de tous côtés et peine à dessiner sa logique, qui est pourtant visible. La fièvre retombera à la condition que les gens s’instruisent et mangent à leur faim. N’Djaména n’a cessé d’épouser son identité lamyfortaine dans la mesure où sa fondation fut celle d’un fort. La garnison de mercenaires rançonne et pille pour suppléer l’absence de solde – l’absence de mérite. »

Evoquant les coupures d’électricité intempestive de la ville dans une série intitulée Délestage, Philippe Guionie montre des silhouettes blanches errant dans la nuit.

Ce sont des traits de présence fantomatique très belles pénétrant l’obscurité comme on entre dans une grotte sans fond.

Des zigzags de lumières humaines avançant dans les ténèbres en faisant tourbillonner autour d’eux tout l’espace.

Abdoulaye Barry regarde les enfants des rues la nuit, happés par la drogue (colle), survivant en bandes, solidaires et potentiellement violentes.

Les yeux sont rouges, les visages tendus ou égarés, les corps trop petits.

Dans une autre série nocturne consacrée aux pêcheurs du lac Tchad, ce même photographe montre des hommes isolés, simplement éclairés par leur lampe torche, travailleurs de l’ombre flottant dans l’obscurité, concentrés sur leurs gestes, alors que non loin, dans les dancings bondés, exulte une jeunesse intrépide, sensuelle, exprimant dans le contact sa fureur de vivre et d’aimer.

Par ses portraits d’anonymes – de toutes génération, âges et sexes, seuls, en couple ou en famille -, Olivier Pasquiers redonne à la capitale tchadienne, en noir & blanc et couleurs, sa pleine visibilité par l’entièreté des visages et des corps représentés.

Egalement membre du collectif historique Le bar Floréal, André Lejarre crée par des effets de superpositions et de transparences une fusion très douce et poétique de la ville et de ses habitants, Anissa Michalon photographiant quant à elle N’Djaména comme un territoire relativement vide, où la méditation sur le temps et la vacuité est encore possible.

Des poèmes issus d’un atelier d’écriture mené par Nimrod sont repris au cœur de l’ouvrage, comme le battement d’un même poumon à la fois unique et pluriel.

Nyl a écrit : « Nuit libre couloir / De nos actes et paroles / Détache nos âmes / Liste nos trouvailles / Sur une feuille de papier / Nuit zone ouverte / Qu’elle fixe sur un tableau / A la craie / L’instant d’un regard / Nuit brutale et fière / Qui laisse derrière elle / Les visages »

Il faut des poètes, et des hommes de paix, ainsi les magistrats qu’a rencontrés au Palais de justice Maurice Weiss, en toques et habits d’hermine, solennels, professionnels, pesant en conscience et règles de droit le poids du bien et du mal des prévenus.

Enfin, la vision éclate en une constellation de points de vue avec les photographes du collectif Photocamp-Tchad témoignant des réalités de la grande et plate ville africaine, mordue par le désert, le soleil et la pollution.

Mathias Kokosso résume l’irrésumable en quelques mots qui sont des notes : « La nuit, par l’étincelle électrique, éblouit / Elle s’enveloppe d’un manteau de velours / Le délestage l’écume l’écrase / Les avenues à la lueur des autos ressemblent à du grabat / Délestage parcours du désarroi »

N’Djaména, Tchad, photographies Anissa Michalon, Olivier Pasquiers (Le Bar Floréal), Philippe Guionie (Myop), Abdoulaye Barry, André Lejarre (Le bar Floréal), Maurice Weiss (Ostkreuz), Photocamp-Tchad, textes Nimrod, Patrick Giraudo, Evelyne Decorps,  et Nyl / Djasrabé Ndingamndoh / Mathias Kokosso / Olivier Ngairiri / Mathias Aguénadé / Abdoul-Aziz Ishak Lamine (atelier d’écriture), conception éditoriale Pierre Gaudin et  Aude Garnier, conception graphique Atelier Nous Travaillons Ensemble (Sébastien Courtois, Valérie Debure, Alex Jordan), directrice de la publication Claire Reverchon, Créaphis Editions, 2014, 156 pages

http://www.editions-creaphis.com/fr/catalogue/view/1120/n-djamena-tchad/?of=17

https://www.leslibraires.fr/livre/7402122-n-djamena-tchad-collectif-creaphis?affiliate=intervalle

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