Le Bleu du Ciel, espace de résistance, par Gilles Verneret, galeriste

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Tchernigiv; 2022 ©Oleksandr Glyadyelov

A l’occasion d’une exposition dans sa galerie lyonnaise, Le Bleu du Ciel, de deux importants photographes ukrainiens, Maxim Dondyuk et Oleksandr Glyadyelov, montrant la réalité de la guerre, des bombardements, de la détresse humaine et de la mort, j’ai souhaité interroger Gilles Verneret, fondateur d’un lieu dédié à la photographie documentaire.

J’ai recueilli la parole d’un homme engagé, soutenant les artistes à bout de bras, et déplorant un manque de financement structurel.

La Guerre. Ukraine 2022 est une exposition nécessaire, mais difficile, crue, jonchée de cadavres et de larmes, exposant l’entièreté d’un territoire profondément bouleversé par la guerre, le malheur frappant sans compter toutes les générations.

Pour ceux qui ne connaîtraient pas votre galerie située à Lyon, pouvez-vous présenter brièvement son histoire et sa politique éditoriale ? Je propose d’intituler notre entretien « Le Bleu du Ciel, espace de résistance ». Qu’en pensez-vous ?

J’aime bien votre titre, il résume toute l’action que j’ai essayé de mener depuis 1999, année de la création du Bleu du Ciel, association Loi de 1901. De par mon caractère, je ne peux trouver de désir d’action sans opposition, sans confrontation, et pour moi montrer de la photographie, c’est affirmer sa révolte. J’ai fait mienne l’aphorisme d’Albert Camus : « Je me révolte donc nous sommes ». Et il y a matière dans ce monde à la révolte. La photographie n’est qu’un moyen pour l’exprimer, et ce n’est pas d’abord la photographie qui compte, mais le but qu’elle poursuit, qu’elle dévoile : se mettre au service des êtres humains et de la beauté. L’art est uniquement éthique, vous savez. Il ne faut donc pas défendre la photographie en soi, pour elle-même, comme on semble le faire trop souvent aujourd’hui, mais défendre les artistes qui la pratiquent. 

Depuis 1999, Le Bleu du Ciel et Festival 9Ph sept de la photographie ont défendu et montré plus de deux cents photographes et, notons-le aussitôt, avec le soutien des institutions – qu’elles en soient louées -, la ville de Lyon, la DRAC Rhône-Alpes et le Conseil régional. Sans elles, pas de Bleu dans le Ciel.

Mais elles l’ont fait avec des aides trop minimalistes qui ont obligé les artistes à donner beaucoup d’eux-mêmes, de leur énergie et de leur passion en se serrant la ceinture, en travaillant avec des bouts de ficelle, c’est-à-dire aucun salaire ou peu de droits d’auteur. C‘est actuellement le but du Parlement de la photographie de changer cet état de fait.  

Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais ignoré que quand on résiste il ne faut pas s’attendre à des pluies d’honneur et de fleurs. Et cela résume bien votre définition pour mon association d’ « espace de résistance ».

Yampil, Donetsk region. The tail part of the missile in the forest 09.10.2022 ©Maxim Dondyuk

Il semble qu’avec votre dernière exposition consacrée à deux photographes ukrainiens importants, Maxim Dondyuk et Oleksandr Glyadyelov, vous amorciez un virage plus engagé encore dans le soutien à une photographie documentaire témoignant de la réalité des guerres et des ignominies en cours. La Guerre. Ukraine 2022 est difficile à voir, soulevant une grande émotion prenant la forme d’une stupeur désolée face aux atrocités, aux cadavres omniprésents et aux effets sur toutes les générations des bombardements. Cette exposition n’est-elle pas un cri ?

L’exposition sur la guerre Ukraine, 2022 a été réalisée avec Oleg Sosnov, commissaire à Kiev, qui m’a présenté plusieurs photographes, et j’ai fait le choix de deux d’entre eux, Maxim Dondyuk et Oleksandr Glyadyelov, de deux générations différentes. Je lui ai ensuite proposé de mélanger des tirages, encadrés en petits et moyens formats installés au cœur de grandes tapisseries en dos bleu qui poseraient le cadre de la guerre à travers des paysages dévastés. Il ne connaissait pas bien cette approche mais il a accepté et a mis en place avec les photographes cette magnifique exposition.

Je dis « magnifique, dans la présentation de leurs travaux, mais le mot ne semble évidemment pas bien approprié, car la guerre, elle, ne peut jamais être magnifique. On peut sans doute parler de la beauté du mal sans se laisser fasciner par le spectacle. Je crains parfois le style photo-journalistique qui est complaisant avec le portrait des conflits. Peut-être n’ai-je pas échappé tout à fait à ce dilemme. Mon idée première n’était pas de développer un Discours, une Justification, historique, ou des Explications, d’où cela dit un minimum de légendes contextualisées. Simplement des faits visuels puissants, une ambiance sonore dérangeante, que l’on retrouve dans les deux diaporamas, ceci afin que le public soit secoué dans ses émotions et confronté au silence, car, face à la guerre, il n’y a rien à dire, juste provoquer la sidération comme le peuple d’Ukraine la vit quotidiennement dans l’horreur et le chagrin.

A la suite de la mise en place, on se repose la question :  l’art sert-il à quelque chose ? provoque-t-il des prises de conscience ? La réponse est délicate :   peut-être pour un très petit nombre de spectateurs qui viennent visiter des Centres d’art.

Artillery shelling of a field near the previous front line where there were fierce fights in the Kharkiv region ©Maxim Dondyuk

Comment travaillez-vous avec les publics et la municipalité ? Quels sont vos soutiens institutionnels ?

J’ai monté cette exposition comme je l’ai pu en tenant compte des coupes budgétaires que la Ville de Lyon m’a infligées en 2023 et qui ont fait que je n’ai pas pu rémunérer les artistes, ni l’équipe qui les entourait. Ils ont donné gracieusement de leur temps et de leur énergie, donc beaucoup d’eux-mêmes, comme le font tous les Ukrainiens pour leur pays. Les photographies ont été mises en vente afin de récolter éventuellement de l’argent pour leur travail.


C’est cela un positionnement de résistance : monter des expositions même sans les moyens conséquents qui permettent de payer les artistes, tout en présentant leur travail de la manière la plus exigeante qui soit, ce qui, pour eux, est souvent la priorité. Aujourd’hui, on parle beaucoup « d’éducation à l’image » et d’importants moyens sont mis à disposition des Centres d’art de photographie comme dans le réseau Diagonal, réseau, qui a refusé à deux reprises la candidature du Bleu Du Ciel, prétextant que l’éducation à l’image n’était pas assez mise en avant, ce fait résultant du manque de moyens pour salarier une personne qui s’en occuperait. Le Bleu du Ciel, malgré sa notoriété et sa programmation de qualité, est doté d’un des plus petits budgets des Centres d’art en France.  Il me semble de toute façon que cette volonté d’éduquer les publics passe après la monstration et la défense des artistes eux-mêmes ! Pour cela, Le Bleu du Ciel, avec ses quelque 200 photographes présentés, n’a pas d’égal.

Depuis 22 ans, Le Bleu du Ciel éduque ses publics principalement venus de la jeunesse, à Lyon, la galerie ayant fait évoluer le regard de la photographie humaniste traditionnelle à la photographie documentaire contemporaine. C’est dans la continuité de programmation que se fait « l’éducation à l’image », et aussi avec la collaboration avec d’autres Centres d’art, associations ou institutions sociales, comme les prisons, etc. Mais, encore une fois, ce sont les artistes qui doivent primer, car, sans eux pas de public et encore moins d’éducation. C’est mon credo.

Vous parlez de « résistance », je vous ai répondu en partie, mais pas précisé de quelle résistance il s’agit. Quand on voit ce qui se passe en Ukraine, il faut être humble. La France est un pays très privilégié, les artistes y sont très privilégiés aussi. J’ai écrit dans une chanson « les Français se croient en enfer », ce qui relève de l’imaginaire. Le partage des richesses est, il est vrai, totalement inégal et injuste. La jeunesse qui va dans la rue pour manifester le fait pour la retraite, alors que les jeunes ont toute la vie devant eux, c’est un peu surprenant non ?

La résistance que l’on doit mener est celle d’être contre la société libérale axée sur la consommation qui détruit l’environnement et pollue les esprits, afin d’engranger sans cesse des bénéfices et de favoriser une croissance démesurée. Les artistes, et surtout les photographes dont le médium est en quelque sorte la peau du réel, se doivent de rendre compte de cet état de fait d’urgences dans notre époque si troublée. En cela est la résistance. Une grande majorité d’artistes de l’art contemporain flirte avec les dérives des marchés du capital, uniquement préoccupés par leurs côtes, dans les salons et biennales, et mène des réflexions inappropriées car déjà obsolètes sur leur médium. Ils questionnent, interrogent, déconstruisent sa fonction en oubliant son positionnement éthique et politique qui est essentiel.

La photographie documentaire, à travers les artistes montrés au Bleu du Ciel comme Saussier, Serralongue, Nefzger, Bazin, Asselin, Jouve, Pataut, Roux, Durand, Curan, Rifflet,  Gratacap,  Roux, Chamaian, Pernot, Henno et tant d’autres, apporte  de véritables constats, transmis dans des formes inventives, qui permettent aux spectateurs de comprendre en profondeur les  réalités de notre monde.

Propos recueillis par Fabien Ribery

Kyiv, Retroville, Mars 2022 ©Oleksandr Glyadyelov

Exposition La Guerre. Ukraine 2022, Maxim Dondyuk et Oleksandr Glyadyelov, commissariat Oleg Sosnov, du 12 mai au 23 septembre 2023

https://maximdondyuk.com/

https://ukrainianphotographies.org/artists/oleksandr-glyadyelov/

https://lebleuduciel.net/

Visite commentée les samedis à 17h

https://www.leslibraires.fr/livre/17885622-la-region-humaine-le-ciel-est-bleu-gilles-verneret-michel-poivert-loco?affiliate=intervalle

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