Recomposer la paix, nulle part ailleurs, par Violette Mortier, plasticienne, et Antonio Jiménez Saiz, photographe

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

Que vaut une image à l’heure de sa reproductibilité technique ?

Pas plus, pas moins, que la légèreté d’un spectre.

Que vaut un homme à l’heure de la fabrique et de l’usinage du vivant ?

Pas plus, pas moins, qu’un grand rien, le plus précieux des trésors, un cri à l’heure du dernier souffle. 

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

Depuis 2022, Antonio Jiménez Saiz photographie le même homme, un ami, un fantôme, une présence irréductible, dans des cahiers quadrimestriels publiés à un petit nombre d’exemplaires et ouverts à toutes sortes de collaborations – avec les écrivains Emmanuel Régniez, Laurence Skivée et Caroline Lamarche, le musicien Maxime Steiner, l’iconodule Thibault Tourmente, la poétesse et plasticienne Sarah Pinckers, les inventeurs de formes de la revue Un Rectangle Quelconque (Tomas Sidoli), et bientôt la photographe Ambre Pinguet.

Pour le premier hors-série de la série La paix, nulle part, Violette Mortier, invitant le photographe, parcourt l’ensemble des sept premiers volumes de cette œuvre empruntant aussi bien au minimalisme de John Cage qu’au cinéma expérimental d’Andy Warhol (screentests ici radicalisés, concentrés sur un seul personnage) pour les recomposer à la façon d’un vaste work in progress de liberté jubilatoire. 

Considérant ses archives comme un matériau malléable, Antonio Jiménez Saiz témoigne d’une belle confiance envers l’inventivité d’une artiste visuelle usant des procédés du collage et de la réécriture à la craie grasse ou sur scotches jaunis pour explorer le continent dérivant des images d’un mentor aussi discret qu’essentiel dans le petit monde de la création photographique contemporaine.

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

Violette Mortier déchire, coupe, recoupe, colle, associe, dessine, recadre, efface, réinvente.

Le geste est joyeux, impertinent, de jouvence, mais sans masquer la part de tragique inhérente à une œuvre princeps étudiant la condition humaine à partir d’une unique figure, gisant debout, témoignant d’une incommunicabilité fondamentale, de l’ordre d’une ontologie kierkegaardienne sans cesse reprise.

Il y a de la terreur chez Antonio Jiménez Saiz, des prisons mentales, des enfermements intérieurs, des noirceurs effrayantes, que Violette Mortier, par son audace graphique, se plaît à souligner ou défaire.

Des mots, des phrases, généralement tronquées, ou rendues peu lisible par la pratique de la superposition, sont repris : « tu tiens », « tu tiens sur tes épaules », « inconfortable, une position qui te conforte, te réco », « fragments épar », « monde et le ciel, enfin tenus, enfin retenus ; fragments d’une catastrophe », « Ne me regarde pas ».

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

La plasticienne recoud en faisant des cicatrices, tisse en laissant voir la trame, révèle en cachant.     

A la façon d’une rédactrice en chef d’une publication sauvage, la voici qui sélectionne ses vues, ses angles, ses proportions de gris, laissant apparaître la colonne vertébrale d’un organisme vivant qu’elle dynamise encore par son irrévérence respectueuse.

Il faut que tout change pour que rien ne change, n’est-ce pas ?

Ce hors-série est ainsi une sorte de cahier insoumis réalisé à partir d’un corpus travaillé comme une suite de notes.

Violette Mortier sample, mixe, fait du DJing visuel.

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

Une silhouette apparaît, un profil, une absence, et des croix comme chez Antoni Tapies.

On ne l’avait pas compris immédiatement, mais nous sommes au royaume des morts, du côté des ombres errantes et des fleuves de sève incandescente.

Antonio Jiménez Saiz peut encore renaître.

Violette Mortier invite Antonio Jiménez Saiz, La paix, nulle part ailleurs, 2024 – 50 exemplaires numérotés

Ouvrage disponible à L’Enfant Sauvage (Bruxelles) et au Comptoir du Livre (Liège)

https://www.enfantsauvagebxl.com/

https://comptoirdulivre.be/

©Violette Mortier & Antonio Jiménez Saiz

L’ensemble des livres et images de la série La paix, nulle part ailleurs, sera exposé au  Comptoir du Livre du 4 octobre au 9 novembre 2024

https://comptoirdulivre.be/events/soiree-dinauguration/

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