
©Peter Coeln
Dix ans après la publication du livre Wild, de Ren Hang, paru à l’occasion de son exposition personnelle à la galerie OstLicht, à Vienne, les éditions dienacht Publishing proposent un regard nouveau sur le célèbre photographe chinois.
Mort par suicide à trente ans, en 1987, Ren Hang souffrait de dépression chronique, la tonalité mélancolique de ses photographies pouvant s’expliquer par le sentiment d’incommunicabilité et la difficulté à toucher la chair même du monde, malgré la façon unique qu’il avait d’exhiber celle de ses sujets masculins ou féminins.

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Ses modèles sont ainsi très souvent nus, mis en scène dans des attitudes provocatrices mais glacées.
Par Hang, la Chine se montre telle qu’elle n’a jamais été vue, dans sa crudité, ses fantasmes, ses corps sens dessus dessous.
Peter Coeln, photographe, collectionneur et directeur des galeries autrichiennes OstLicht et WestLicht, fut autorisé à l’accompagner durant une séance de travail, objet du livre aujourd’hui publié Ren Hang – At Work.

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Composé de façon très soignée, se présentant dans un demi-étui cartonné, ce volume comprenant une affiche pliée et un livret comportant cinq œuvres du photographes produites lors de la journée de pose documentée par son ami, est précieux pour comprendre la façon dont Hang travaillait.
Muni d’un appareil de petit format, donnant presque une impression d’amateurisme, le grand photographe allonge ses modèles sur un tapis de feuilles dans une forêt, évoquant le camouflage d’une scène de crime, ou quelque jeu sexuel inédit.
Ses personnages grimpent aux arbres, prennent des poses acrobatiques à quelques mètres du sol, donnant l’impression d’être davantage des créatures fantastiques habitant les bois que de simples humains.

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Hang est lui aussi étendu ou accroupi, droit ou jambes fléchies, cherchant les meilleurs angles.
Les corps qu’il aime sont graciles, sexy, parfois écartelés, il n’est pas rare qu’on en devine le squelette.
Une femme repose sur un promontoire d’herbes formant la rive d’un cours d’eau, c’est une nymphe, peau nue très blanche, rouge à lèvre très rouge, sexe glabre.
Il ne semble pas y avoir d’intervention massive de la part d’assistants, l’atmosphère de concentration et d’intimité est palpable, les êtres photographiés sont des mannequins de chair humaine.

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Ils se touchent, se collent, se superposent, mais dans une froideur évoquant l’aphorisme de Lacan : « Il n’y a pas de rapport sexuel. »
Il y a des positions, des situations, des audaces, mais au fond chacun est seul dans la glaciation de sentiments.
Peter Coeln se souvient : « Ren Hang, comme ses photographies, était unique – de grande taille et doté d’un charisme particulier. Il est resté à Vienne avec son petit ami Huang Jiaqui pendant une quinzaine de jours. Ils semblaient être un couple heureux. […] J’ai apprécié sa présence et sa compagnie, et il semblait apprécier la mienne. Il aimait la ville. Il nous a informés qu’il voulait faire une séance photo ici à Vienne. Nous avons organisé un casting pour lui par le biais d’une annonce sur les réseaux sociaux. Puis il m’a demandé si je pouvais l’accompagner, lui et l’équipe, pour la séance photo. […] Sachant qu’il n’a jamais accepté d’être photographié lorsqu’il travaillait, j’étais assez surpris qu’il ne se sente pas dérangé si je prenais des photos. C’était le mercredi 25 mars, une journée de printemps fraîche et amicale. Il y avait trois jeunes gens complètement nus dans la froide rivière Wien et plus tard dans le « Wienerwald », une forêt de feuillus. Ils grimpaient aux arbres, s’étendaient sur le sol couvert de feuilles mortes et plongeaient dans l’eau de la rivière. […] C’était intime. Et pourtant, les trois personnes nues qui défilaient étaient étrangères les unes aux autres et au reste de la petite équipe. L’interaction était ludique et fluide. Ils riaient en luttant pour poser, suspendus à un arbre comme des singes, l’appareil photo se rapprochant de plus en plus de leurs fesses, ou gelant et ayant une érection dans la rivière. Et pourtant, c’était grave. Ils étaient tous engagés dans une vision : celle de Ren Hang. Il avait une idée claire de la façon dont un corps peut se comporter, bouger et regarder. Il savait comment les corps humains peuvent interagir ensemble. C’était provocateur. Et pourtant, il n’y avait pas de colère. C’était drôle. Ses images jouent sur le bord le plus fin entre l’ironie et l’excitation, le plaisir et la sécheresse, la joie et la tristesse. J’ai eu l’impression qu’il se sentait très à l’aise à Vienne. Il a dit qu’il reviendrait. Il était heureux. Et pourtant, il était triste. »

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Je retiens le mot vision, Ren Hang ne trichait pas, c’était un créateur total, habité, inventif, et souffrant d’un exil intérieur probablement irrémédiable.

Peter Coeln, Ren Hang – At Work, text Peter Coeln, design, editing and sequencing Calin Kruse, dienacht Publishing, 2024, 96 pages – 600 exemplaires

https://www.dienacht-magazine.com/explore/artist/ren-hang

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https://www.dienacht-magazine.com/2024/06/14/ren-hang-at-work

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