Eloge de la résistance, par Françoise Huguier, photographe

Mathieu Le Minor, père de Françoise Huguier, en Indochine

« En 1935, mon père était déjà directeur de plantation en Indochine et mon grand-père continuait de trouver des arguments contre l’union de mes parents, malgré l’amour qu’ils avaient l’un pour l’autre. » (Françoise Huguier)

L’histoire d’amour entre les parents de Françoise Huguier fut difficile, intense, magnifique.

Dans un livre composé des lettres des deux amants, Antoinette et Mathieu, écrites dans les années 1930, la photographe comprend l’origine de son tempérament à travers celui de ses parents : ne rien lâcher, résister, aller jusqu’au bout de ses ambitions, de ses rêves, voyager – se déplacer, se dégager – pour préserver fondamentalement sa liberté.    

Publié aux Editions Lamaindonne dans la collection Poursuites et Ricochets (quatre titres à ce jour, soigneusement choisis par Guillaume Geneste), ces missives retrouvées lors du décès de la mère de l’artiste en 1996 témoignent du combat d’un couple affrontant, au nom de leur sentiment, nombre de préjugés.   

Château de Kernuz, propriété de la famille du Chatellier

Différence de classe, crainte d’une mésalliance, mauvaise connaissance de la réalité coloniale, compréhension différente de ce que l’on appelle chez les gens d’honneur le devoir.

Nous ne sommes pas chez les surréalistes et les amis d’Yves Tanguy, la révolution est d’abord celle du cœur dictant des choix existentiels.

Le dimanche de Pâques 1932, Mathieu écrit à Antoinette : « Je fis ta rencontre, frémissement physique : qui étais-tu ? Coup de foudre. Riche ou pauvre, ange ou démon, que m’importait ? »

Antoinette, née Maufras du Chatellier, est de haute lignée, et a été élevée dans le manoir de Kermuz à Pont-l’Abbé, son mari quant à lui, Mathieu Le Minor, considéré comme roturier – mais issu d’une grande famille du pays bigouden – ayant reçu une éducation militaire à Saint-Cyr.

Mathieu Le Minor sur la plantation, Indochine, avant le mariage

Il faudrait rompre, le père d’Antoinette, Armand, refuse cette union qu’il juge inconvenante, mais les amoureux ne le peuvent, s’écrivent en cachette, argumentent.

La détermination est leur loi.

Armand infantilise sa fille, la culpabilise, joue de son autorité, ne comprend pas la fougue amoureuse de la jeunesse, en appelle à Dieu.

Les lettres se succèdent, mais les positions des belligérants – s’exprimant toujours avec la plus grande déférence – ne bougent pas.

Chacun a ses valeurs, chacun souffre, mais devant l’amour, d’autant plus exalté peut-être qu’il est empêché, les ultimes préventions tombent.

Antoinette du Chatellier et Mathieu Le Minor, en Bretagne

Antoinette écrit à Mathieu le 1er janvier 1936 : « Voici le premier jour de l’année qui doit voir la fin de toutes nos épreuves, mon amour. Mes parents regretteront peut-être ces mois de souffrances qu’ils auront subis et qu’ils m’auront fait subir pour satisfaire leur orgueil. Leur chagrin ne peut pas me faire renoncer à toi, aussi suis-je ferme. »

Qui choisiriez -vous entre vos parents et la personne qui enflamme vos yeux tout en tenant entre ses mains les lignes de votre destin ?

Le mariage aura lieu, le nom des parents ne figurera pas sur le faire-part.

En guise de cadeau, la fille recevra une malle en bois et du foin.

Bête comme du foin ?

Sur la couverture du livre édité par David Fourré, le couple a, tristement, la tête coupée.

Mathieu Le Minor, plantation, Vietnam

On peut lire ceci dans la préface rédigée par la photographe en janvier 2024 : « Je dois beaucoup à mes parents. Lorsque, en 1950, le Vietminh nous a kidnappés, mon frère et moi, nous avons eu très peur. Il me semble pourtant que nos parents devaient être encore plus terrifiés à l’idée de ne jamais nous voir revenir. Nous aurions pu mourir de nombreuses fois, mais ils se sont battus sans relâche pour que nous soyons libérés. Ils ont même proposé à Ho Chi Minh de nous échanger contre deux commissaires politiques prisonniers à Saïgon. Ho Chi Minh a refusé. Mes parents ont gardé la lettre. » 

N’est-ce pas le sujet d’un autre livre ? 

François Huguier, La malle de foin, collection Poursuites et Ricochets, directeur de collection Guillaume Geneste, responsable d’édition David Fourré, création graphique Frédéric Rey, Editions Lamaindonne, 2024, 76 pages 

https://www.lamaindonne.fr/produit/la-malle-de-foin/

https://francoisehuguier.fr/

https://www.leslibraires.fr/livre/23323857-francoise-huguier-la-malle-de-foin-francais-huguier-francoise-lamaindonne?affiliate=intervalle

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