Aux Andalousies, par Serge Airoldi, écrivain

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©Olivier Deck

« J’appelle à des Andalousies toujours recommencées, dont nous portons en nous à la fois les décombres amoncelés et l’inlassable espérance. » (Jacques Berque)

Ah !

Aller vers la lumière.

Anda Luz, jardin des Hespérides, pommes d’or dans la gorge des chanteurs et chanteuses de flamenco.

Y aller sans cesse, ne pas en revenir, repartir avec Serge Airoldi, dont le livre Motif andalous est un précieux viatique.

Un guide de voyage ? Non, une recherche, menée avec son ami le photographe Olivier Deck, qui accompagne cet ouvrage de quelques images, sur l’énergie andalouse, sa spécificité, son génie.

Dédié à Federico Garcia Lorca, ainsi qu’à l’érudit de l’islam et des mondes méditerranéens Jacques Berque – sa tombe se trouve à Saint-Julien-en-Born, village situé non loin de Dax -, Motifs andalous trace des sillons, lance des pistes, se souvient.  

©Olivier Deck

Nous vivons généralement de façon fantomatique, ou à peine, mais certains lieux nous redonnent de la densité, une présence, une joie spéciale, de la légèreté.

La société nous rend malade, mais dès que nous les retrouvons physiquement, tout va mieux, ils nous refondent.

A l’orée comme au terme de son livre, Sergio Airoldi voit un cheval blanc venir à lui, symbole de vérité et de résurrection.

A Ronda, comme dans le ravin de Viznar, où Lorca fut assassiné avec trois autres camarades.

A Moguer, voici le spectre de l’écrivain Juan Ramon Jiménez, auteur d’un livre culte, Platero y yo.

« Pour ma part, écrit Serge Airoldi, je n’ai rien vu de définitif comme ce soleil-là, sinon des demeures en sucre blanc que martyrise une inconsolable nostalgie. Et aussi une ruine ancienne qui jeta du noir dans le soleil, pour reprendre Jean Giono, dans sa préface à Platero. »

Réflexion sur l’être andalou comme  individu de multi-appartenance (Tartessien, Wisigoth, pré-Ibère, Romain, Gitan, colon catholique, allemand, flamand, suisse, Japonais…), l’auteur de L’épreuve (Inculte, 2023) s’interroge : « Qu’est-ce qu’un Sévillan, un Cordouan, un Grenadin, un Rondeno, un Gaditan ? Qu’est-ce qu’un homme des sierras, des marismas, les embouchures atlantiques, des côtes méditerranéennes, d’Almeria, d’Adra, d’Almunecar, des vents salés, des étés brûlants, des hordes de poussières rouges accourues du Sahara ? Qu’est-ce qu’un homme des villes aux considérables passés, des pueblos blancs, villages d’une blancheur confondante, des grottes où les Arabes mettaient à l’abri des bêtes, les récoltes, les maigres joies de posséder. Qui furent les hommes multiples des caves, cavités, cuevas, lieux insensés, des grottes de Nerja qui, un jour, dévoilèrent leurs œuvres pariétales, les phoques ocres, à celles de Sacromonte à Grenade, peu à peu retrouvées par les Gitans ? »

Andalou ? unité multiple parfaite.  

Amandes frites, patios, hébétude d’été.

Toros, paso dobles, défi.

Vierge enveloppée de glaïeuls d’un bar de Santa Cruz (Séville), guitariste, silences intérieurs.   

©Olivier Deck

« Tout ce qui existe en ce monde, humain, animal, arbre, roche, forme un amalgame de granit, de brèches, de grès, de sédimentation, de désagrégation, d’érosion, pour, au final, vivre une recomposition perpétuelle. Nous sommes grenus : tellement abondants en grains. »

Attentifs aux couleurs (lire Rose Hanoï, prix Henri de Régnier de l’Académie française 2017), Motifs andalous est une mosaïque de dominance blanche et noire, où les phrases chantent parfois comme un torrent charriant des pierres d’accumulations nominales.

Etre là, ne rien faire, se voyager.  

Prolonger la légende flamenca, célébrer ses héros, ses chants lointains, son sang de limons.

Mais Motifs andalous est aussi une réflexion sur l’image comme entrelacement de l’être et du non-être – Michel Dieuzaide est salué -, Serge Airoldi étant également très sensible à la façon dont la photographie (physique/mentale) construit des chemins de mystère et de sens – voir la collection qu’il dirige aux éditions Les Petites Allées, « Pour dire une photographie ».

« Nous sommes en Andalousie. Tout ne fait que commencer. »

L’auteur de la Société du spectacle vécut incognito à Séville, où Serge Airoldi photographie ce tag sublime découvert à peu près par hasard : « Ci-gît l’absence de Guy Debord. »

©Olivier Deck

Savoir partir, savoir disparaître, effacer nos traces, admirer la Vierge du Rocio de l’église San Salvador, prier seul ou à deux, avec qui l’on aime et nous aime.

Dormir dans une jarre, écouter depuis cet antre de terre les bruits du monde, se réveiller il y a plusieurs siècles, ou dans des dizaines d’années, loin des turpitudes, au son d’une copla sublime.

Serge Airoldi, Motifs andalous, avec six photographies d’Olivier Deck, collection La rencontre dirigée par Anne Bourguignon, Arléa, 120 pages

https://www.arlea.fr/Serge-Airoldi

https://www.arlea.fr/Motifs-andalous

A paraître, Andaluz (photographie et texte), Olivier Deck, Contrejour, 2025

https://www.leslibraires.fr/livre/24456768-motifs-andalous-serge-airoldi-arlea?Affiliate=intervalle

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