Amour et solitude, par Rainer Maria Rilke, poète

« Il me semble que même chez un homme il y a maternité, à la fois physique et mentale. Un acte de procréation qui est aussi une manière de donner naissance, donner naissance à partir d’une force intérieure. Les deux genres sont bien plus étroitement liés que nous pourrions le penser. »

J’ai passé l’été avec l’amour, et Rainer Maria Rilke.

Le recueil compilant pensées, lettres et poèmes, composé depuis Venise par Micha Venaille, Il n’y a pas de plus grande force que l’amour, ouvre la réflexion, tout en construisant un portrait simple et intime du poète allemand.   

Rilke ne cesse d’insister sur son besoin de solitude – il passera seul ses dernières années dans le château de Muzot, situé dans le Valais -, pensant chaque aimé comme le gardien de la solitude de l’autre.

L’auteur des Elégies de Duino fait de l’amour une clarté, une clairvoyance, une lucidité, un éveil, et non un aveuglement, le plaisir physique étant pour lui une expérience de connaissance, à ne surtout pas gâcher ou gaspiller.

« Ceux qui sont ensemble dans la nuit et sont emportés par le rythme du plaisir physique accomplissent un devoir. Ils associent la douceur, la profondeur et la force avec le chant d’un poète qui va s’élever pour donner voix à un plaisir indicible. »

Le silence accueilli sans peur unit les couples, il y a en lui quelque chose de sacré.

La fusion sentimentale est selon Rilke un égarement, l’ambition étant de savoir s’abandonner sans perdre l’ordre difficile d’une solitude fécondante.

L’autre n’est pas un étai, mais un révélateur de puissance – l’amour est un travail, une mission, une tâche suprême, une tentative de surpasser la condition humaine en ses petitesses logiques.

« Une fois amoureux, une fois en flammes, on ne doit plus jamais se considérer comme un malheureux ; celui qui a pu accéder une fois à l’amour, a accès à la béatitude qui est en lui, et un sentiment de manque, une nostalgie, ne sont désormais pour lui que la preuve de la gravité de son épanouissement. Il est alors possible que l’amour devienne une souffrance, de la douleur et du désespoir pour lui, et qu’alors il ne puisse plus jouir de cette plénitude qu’il avait espérée et anticipée. »

On ne perd jamais l’amour, même quand on le perd.

Quelques lettres sont reproduites, envoyées à la pianiste vivant à Venise Mimi Romanelli (lire Lettres à une amie vénitienne, Gallimard, 2012), à la sculptrice, élève de Rodin, Clara Rilke-Wethoff (ils ont été mariés un an), à Merline, Baladine Klossowska, mère de Pierre Klossowski et de Balthus, à la peintre et grande voyageuse (Tibet, Inde) Lou Albert-Lasard, à la géniale et indépendante Lou Andreas-Salomé (elle le fera changer de prénom, rappelle Micha Venaille, René devenant Rainer), à la pianiste viennoise Magda von Hattingberg, à l’écrivaine Claire Goll, à la poétesse Marina Tsvetaeva, à Lisa Heise.

On lira ces phrases comme des envois transversaux : « Alors que je suis englouti dans ma tristesse, je suis heureux de sentir que vous existez : Belle. » ; « N’oubliez jamais que je suis voué à la solitude, que je ne dois avoir besoin de personne, que toute ma force naît de ce détachement et je vous assure que je supplie tous ceux qui m’aiment d’aimer ma solitude ; sans cela, je devrais me cacher même à leurs yeux, à leurs mains ; comme un animal sauvage se cache pour échapper aux ennemis qui le poursuivent. »

Poème à Lou : « Pendant un instant, la forêt est inquiète, / l’angoisse fige chaque branche / et l’attente lui paraît longue – / jusqu’à ce que la tempête frappe les cimes / et que toute la forêt ne soit plus qu’un chant : /            merci / pour avoir pris mon cœur dans tes mains /  merci ! »  

Chacun méditera ceci : « N’est-il pas temps de nous libérer de l’être aimé en l’aimant et de le dépasser, en tremblant : comme la flèche quitte la corde pour devenir, serrée dans le jet, plus qu’elle-même. Car il n’est de demeure nulle part. »

Car il n’est de demeure nulle part.

Ou, uniquement, en nous, par l’autre.

Rainer Maria Rilke, Il n’y a pas de plus grande force que l’amour, édition établie, préfacée et annotée par Micha Venaille, traduction de Micha Venaille avec la collaboration d’Yvette Wiener, collection Domaine étranger dirigée par Jean-Claude Zylberstein, Les Belles Lettres, 2025, 136 pages

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  1. Avatar de barbaraspolla barbaraspolla dit :

    C’est très beau, j’ai passé l’été avec l’amour et RMR…

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