De l’identité comme champ de ressources, par le philosophe François Jullien

couv_jullien

Nous vivons une époque d’imbécillité crasse quant à la question de l’identité.

Depuis la création en mai 2007 d’un Ministère de l’Identité nationale par le couple nauséabond Sarkozy-Buisson, le traitement par la droite extrême (presque tout l’échiquier politique) des thèmes du roman national, de l’intégration/assimilation et du communautarisme/multiculturalisme empoisonnent la vie politique française, rapprochant de plus en plus notre vie sociale d’une chasse à l’homme réclamée par la République (lire à ce propos Grégoire Chamayou).

Contre cette logique de battue, et l’atrophie de l’esprit critique face aux meutes des réducteurs de tête, lire le dernier ouvrage du sinologue et philosophe François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle (éditions de L’Herne), fait tout simplement beaucoup de bien.

L’écart et la différence sont ici établis comme étant au principe de l’identité, pensée comme ouverture, espace de « fécondités », ou de « ressources », faisant songer quelquefois à la riche poétique de la Relation telle que développée dans l’œuvre d’Edouard Glissant.

Incipit : « Je ne défendrai donc pas une identité culturelle française, impossible à identifier, mais des ressources culturelles françaises (européennes). »

Plus loin : « Une identité se définit, des ressources [de l’universel, du paysage, de l’idéal, de la langue, de la religion…] s’inventorient. Elles s’explorent et elles s’exploitent – ce que j’appelle activer. »

L’accent est ici mis sur le processus, le dynamique, la transformation, la plasticité, le prospectif, non plus sur la souche, l’origine, la racine (le recours par métaphore aux termes de la nature est une faute épistémologique), la fixité, autrement dit sur une logique plus souplement inclusive que fermement exclusive et de frontières armées, le commun (on n’hérite vraiment que dans la réinvention du legs) n’étant pas le semblable, l’essai d’un Samuel Huntington (The Clash of civilisations) reposant sur une logique de zonage décourageant la politique possible des porosités et des riches mutations.

L’identité est ainsi conçue comme dia-logue, champ énergétique, quand le clonage porteur d’entropie apparaît aujourd’hui comme notre principal horizon politique médiatisé.

Tenter de tenir ensemble l’universel (relatif) et le singulier (relatif) peut dès lors constituer un principe d’orientation en temps de détresse : « L’universel est à concevoir à l’encontre de l’universalisme, celui-ci s’imposant souverain et croyant posséder l’universalité. L’universel pour lequel il faut militer est, à l’inverse, un universel rebelle, qui n’est jamais comblé ; ou disons un universel négatif défaisant le confort de toute positivité arrêtée : non pas totalisateur (saturant), mais au contraire rouvrant du manque dans toute totalité achevée. »

La tension entre l’homogène et l’hétérogène, l’unitaire et le pluriel, fondent la raison d’une identité où tout transformation est vécue bien davantage comme une chance de renforcement du propre, que comme un affaiblissement de soi.

A l’instar du vide abordé dans la pensée chinoise comme un principe actif, François Jullien fait de la poétique/politique de l’entre le véritable cœur d’une juste méditation sur l’identité.

Dernier rappel : l’identification (nécessité psychologique) n’est pas l’identité, qui est « désadhérence », expérience, dérive, imagination, « grand mariage symbolique » maintes fois célébré de l’interculturalité infinie.

Contre « l’uniformisation » (standardisation et synchronisation des comportements et des émotions à l’échelle mondiale) et « l’identitaire », faisons avec François Jullien le parti d’un « commun intensif », qui serait la plus belle des sorties de crise, par le haut.

François Jullien, Il n’y a pas d’identité culturelle, éditions de L’Herne, 2016, 98p

Vous pouvez aussi me lire en consultant le site de la revue numérique indépendante Le Poulailler

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s