Antebellum, ou le Sud profond, par le photographe errant Gilles Mora

Atlanta, Géorgie, 1986
Atlanta, Géorgie, 1986

Gilles Mora, historien de l’art, spécialiste de la photographie, directeur artistique du Pavillon populaire de Montpellier, éditeur, guitariste de rock, est aussi un amoureux des Etats-Unis, de son histoire, de sa musique et de sa littérature.

Arrivé en Louisiane en 1972 pour enseigner le français dans la petite ville de Jena – et échapper au service militaire – Gilles Mora découvre, accompagné de son épouse Françoise, le Sud profond, le mythique Deep and Antebellum South, territoire dur et attachant, terre de racisme et de révolte obstinée contre le rouleau compresseur de la modernisation (mœurs, finances, techniques, corps) venue du Nord climatisé.

Pendant trois ans, le jeune agrégé de lettres photographie sans cesse cette Amérique, rurale, inquiétante, délabrée (merci à John Clarence Laughlin), qui ne le quittera plus – une passion est née.

New Albany, Mississippi, 1982
New Albany, Mississippi, 1982

Pages ouvertes d’un roman de William Faulkner (la photographie de sa chambre comme incipit), les images que Gilles Mora a prises jusqu’en 2010 – toujours en argentique – renvoient aux années 30 d’un pays marqué par la violence de la ségrégation, la répétition et une forme d’ennui, pourtant formidable quand on a trente ans, qu’on aime et qu’on ne craint pas de brûler sous le soleil.

Gilles Mora appartient à cette école de peintres du réel (Claude Nori, Denis Roche, Bernard Plossu…) regroupés autour de la revue Les Cahiers de la Photographie (1981-1990) qui ne craignent pas d’exposer à la fois le monde, sans souci d’objectivité, cette blague, et leur intimité (notamment amoureuse), avec toujours beaucoup de douceur et de malice.

Géorgie, 1987
Géorgie, 1987

Continuateur de Walker Evans pour l’ample description d’un territoire cadré frontalement, attentif à la sensualité de ses modèles à la façon de Lee Friedlander, l’ami des peintres Ben et Bernarda Shahn cherche à saisir par l’image, dans ce Sud au parfum de passé qui l’accueille, ces instants épiphaniques où tout semble s’accorder secrètement et entrer dans une résonnance parfaite.

Alabama, 1982
Alabama, 1982

Superbement mis en page par la jeune et très talentueuse maison d’édition Lamaindonne (David Fourré), Antebellum pose en creux la question de la guerre des apparences menée contre qui ne respecte la loi de la standardisation des comportements et des visages.

A cet égard, le portrait du chanteur de Nashville (Tennessee) Carl Perkins est exemplaire de qui accorde au blues et au partage de musique au présent plus d’importance qu’une vie bâtie à coups de cynisme et de fausse repentance.

Jackson, Mississippi, 1984
Jackson, Mississippi, 1984

Dans le texte introduisant son ouvrage, Gilles Mora rappelle l’importance qu’eut sur son inspiration la belle dame de Jackson (Mississipi), Eudora Welty, capable comme personne de dévoiler la sensualité spontanée des habitants du Sud, en mots (ses nouvelles sont remarquables), ou en images : « L’écrivain célèbre qu’elle était à mes yeux, la plus fine, la plus profonde d’entre ses pairs sudistes, de Faulkner à Walker Percy, en passant par Flannery O’Connor et bien d’autres, ne prenait pas au sérieux la photographie qu’elle avait brièvement, mais intensément pratiquée à la fin des années 1930 dans les comtés du Mississipi, en pleine dépression économique. J’y avais retrouvé le même indicible attrait mystérieux pour les marginaux, la semblable attirance physique pour le corps des femmes, noires ou blanches, caractéristiques de son œuvre d’écrivain. Et quelques-unes de ses images sont au cœur même de celles que je prenais, sans doute par l’effet d’une filiation dont je l’avais informée le jour de notre rencontre, et qui l’avait fait sourire avec cette bonté dont encore je m’enchante. »

Mississippi, 1984
Mississippi, 1984

The past is never dead. It’s not even dead, il semblerait que Gilles Mora n’ait cessé de photographier cette phrase de William Faulkner (Requiem for a Nun, 1951).

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Gilles Mora, Antebellum, éditions Lamaindonne, 2016 – 176p, 135 photographies en bichromie

Visiter la maison d’édition Lamaindonne

Découvrir le Pavillon populaire de Montpellier

Vous pouvez aussi me lire en consultant le site de la revue numérique indépendante Le Poulailler

New Orleans, Louisiane, 1984
New Orleans, Louisiane, 1984

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