Satan sous le soleil, ou California Girls, de Simon Liberati

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Il y a du maléfique sous le soleil de Californie.

Dans un film méconnu, pourtant fascinant de beauté brute et cruelle, Twentynine palms (2003), Bruno Dumont avait montré la proximité entre la violence et le vide, la minéralité et sécheresse des décors naturels renvoyant l’existence à sa dimension impitoyable.

L’écrivain Simon Liberati, dont on pourrait croire naïvement que le glamour est le quotidien, est bien plutôt un adepte de la magie noire.

Son dernier livre, California Girls (Grasset, 2016), revient sur l’affaire Manson, le meurtre sauvage de la jeune épouse du cinéaste Roman Polanski, Sharon Tate, et la force motrice du diabolique.

Difficile à lire – des atrocités s’y succèdent – mal aimable, California Girls pourrait être, si l’on en croyait son titre, une chanson douce, mais c’est surtout un bloc d’enfer surgi d’un ranch hollywoodien.

Quand avez-vous entendu parler pour la première fois de l’affaire Charles Manson ? Quelle fut votre réaction ?

En 1970. En tant qu’enfant j’étais terrorisé.

Comment articuler les liens ou le passage a priori inattendu entre le mouvement hippie et le satanisme ?

Le new age a toujours eu des liens avec le satanisme. Aleister Crowley, avec son goût pour les philosophies orientales, était une figure tutélaire du mouvement hippie.

Charles Manson a été condamné à une peine de prison à vie pour avoir commandité l’assassinat en 1969 de l’épouse du cinéaste Roman Polanski, Sharon Tate, alors enceinte de huit mois, et de quatre de ses amis. N’avez-vous pas cherché à le rencontrer ou à lui écrire pour la préparation de votre roman ?

Non, il est fou et très avide d’argent. C’est une affaire sur laquelle les témoins n’ont plus rien à dire. Ils ont été pressés comme des citrons.

A partir de quels documents avez-vous travaillé ?

Internet… Tout y est. Même les rapports de police.

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Vous vivez avec la cinéaste Eva Ionesco, fille de la trouble Irina Ionesco, photographe qui la fit poser nue dans des poses très sexuées lorsqu’elle était encore petite fille, renversant/souillant par un acte sacrilège de nature esthético-pornographique l’angélique enfant. Il y a chez cette femme une indéniable force noire. Que cherchez-vous à comprendre ou conjurer en vous frottant à ce point au mal ?

Le projet Sharon Tate était antérieur à ma rencontre avec Eva. Quand j’ai croisé Eva en 1979, je ne m’intéressais pas aux photos de sa mère. Les Mansoniens ont été moins gênants qu’Irina en ce qui me concerne.

Quel souvenir gardez-vous de Lucifer Rising de Kenneth Anger, tourné en 1972, où Lucifer est un dieu de couleur et de lumière ? N’êtes-vous pas fasciné par la proximité entre le solaire et le maléfique ?

C’est un film que j’aime bien. Très différents des autres Kenneth Anger, peut-être moins fort mais plaisant.

Le diable est-il rock’n’roll ? Que pensez-vous du White album, des Beatles ?

J’adorais ce disque quand je l’acheté dans les années 1970, sans savoir les liens avec Manson.

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Vous faites l’éloge, dans 113 études de littérature romantique, important essai de cinq cents pages trop peu lu, du roman de l’écrivain de Nashville, Madison Smartt Bell, La couleur de la nuit (Actes Sud, 2011), livre traitant « de la famille Manson et du fameux Spahn Ranch, ancien décor de western où vivaient ces amateurs de buggies Wolkswagen, d’ordures et d’éventration. » La lecture de cet ouvrage vous a-t-elle conduit à écrire le vôtre ?

Absolument. Nous avons les mêmes pôles d’intérêts et les mêmes sources. Je trouve ce livre plus intéressant que celui d’Emma Cline.

The Girls, de la jeune Emma Cline, livre au succès international publié récemment en français par les éditions de la Table ronde, revient aussi à sa façon sur l’affaire Manson. L’avez-vous lu dès sa parution ?

Oui en anglais. Ce n’est pas mon truc, mais des gens que j’estime aiment bien, donc je me trompe peut-être. Pour moi, c’est fabriqué.

En quoi ces massacres sur fond d’apocalypse sont-ils révélateurs du destin peut-être infernal de l’Amérique ?

Je crois surtout que la pop culture fait les poubelles, comme les filles…

Que vient faire dans cette sombre histoire le batteur des Beach Boys, Dennis Wilson, frère de Brian ?

Il était fasciné et terrorisé. Manson était un voyou et les filles étaient dangereuses. Il ne savait plus comment s’en débarrasser.

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La Californie hollywoodienne est-elle un pandémonium ?

Il y a quelque chose de ça

Pourquoi avoir décrit avec autant de précision, voire de volupté, l’assassinat de Sharon Tate ? Pour exorciser votre propre violence potentielle ? Pour en remontrer aux snuff movies ?

Non, je voulais faire un compte rendu précis de ce que c’est que tuer quelqu’un avec un couteau quand on ne sait pas, et aussi les degrés différents de la terreur de la victime, qui passe pas plusieurs phases dont le faux espoir de s’en sortir…

Avec Rosemary’s Baby, film sorti en 1968, Roman Polanski n’a-t-il pas lui aussi cherché à taquiner le diable, dont on peut croire qu’il s’est vengé sans retenue sur sa jeune épouse quelques mois plus tard ?

Demandez-le-lui.

Que sait-on du devenir des membres de « La famille », la communauté créée par Charles Manson, et des nombreux enfants nés d’une sexualité sans entrave accompagnée de drogues et de sang ?

Tout est sur mansonblog.com Un site remarquable, très complet. Vous avez même les contacts des membres en liberté sur les réseaux sociaux.

Pris par un délire d’interprétation (la race « blanche » est en sursis, les Noirs vont l’exterminer), Charles Manson a-t-il pu, selon vous, bénéficier quelques temps de protections auprès des autorités, qui aurait pu souhaiter comme lui que s’ouvre enfin une impitoyable « chasse aux nègres » ?

Oui, j ‘en suis sûr, sans pouvoir le prouver. Il avait des liens avec la police, qui ont dû retarder son arrestation. Je crois qu’il y a une part de provocation dans ces crimes, mais je ne crois pas que la mort de Tate ait été validée par la police. Je pense que Tex Watson avait une vocation de tueur psychopathe qui a dépassé tout le monde, lui-même d’abord. Sa prostration régressive, son anorexie après son arrestation, est typique des tueurs désorganisés.

Que pensez-vous de l’album de Manson, Lie : The Love and Terror Cult ?

C’est un bon musicien.

California Girls comporte six parties. Pourquoi ce choix ?

C’est un hasard.

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Quel est votre prochain sujet de roman ?

Un livre sur la peinture.

Propos recueillis par Fabien Ribery

Simon Liberati, California Girls, roman, Grasset, 2016, 340p

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