
7/7, du photoreporter Guillaume Herbaut (Visa d’Or 2014 à Perpignan, catégorie « Magazines ») est une série photographique sur les « Survivants ».
En sept parties, L’ombre des vivants montre sous forme de tableaux (portraits, objets, lieux, paysages) des territoires chargés de drames : Shkodra (Albanie) et les dettes de sang, Oswiecim (Pologne) et le génocide des juifs, Slavoutitch (Ukraine) et les bois empoisonnés de Tchernobyl, Urakami (Japon) et les parias de l’irradiation, Ciudad Juarez (Mexique) et le martyre des femmes, mais aussi Livry-Gargan où le photographe témoigne de ses propres douleurs.

Réalisées entre 2002 et 2008, ces images s’offrent au regard comme des théâtres silencieux marqués par la présence d’une menace parfois impalpable et pourtant terriblement oppressante.
Quelques murs vides, une moquette défraichie, une prise électrique d’autrefois, les traces des cadres que l’on a ôtés sur la tapisserie, une lettre très émouvante d’une maman préparant son départ pour l’au-delà : ainsi commence l’histoire de la création du monde en sept jours, ou plutôt, le néologisme s’impose, de sa décréation.

La couleur du deuil inaugure chaque chapitre, que précède un court texte explicatif.
Shkodra ? « Dans le nord de l’Albanie, 10 000 personnes sont concernées par la vendetta et vivent cloîtrées de peur des représailles d’une famille ennemie. 1 000 enfants ne sortent plus et ne vont pas à l’école. 2 000 femmes ont perdu leur mari dans des règlements de comptes. La chute de la dictature communiste en 1991 a fait ressurgir d’anciennes pratiques. Le Kanun, un code civil rédigé au XVe siècle par un seigneur du Nord, Leke Dukagjini, fait désormais entendre sa voix quand celles des policiers et des juges restent inaudibles. Le Kanun codifie strictement la vengeance. Une famille, dont un de ses membres a été tué, a l’obligation de se venger. »
Des informations précises nous sont données (taux de chômage, nombre d’habitants, revenu moyen) à proximité des images, Guillaume Herbaut ne négligeant jamais l’aspect documentaire de ses prises de vue au profit de la pure esthétique.
Une double lecture peut ainsi être menée, selon que l’on choisisse ou non de se renseigner sur le contexte des images, qu’on souhaite les considérer comme autonomes ou comme points d’appui d’un vaste reportage sur la mort violente au quotidien.
Le sentiment de claustration est permanent, qu’il s’agisse d’un enfermement dans un appartement ou une maison, d’un paysage toxique, ou d’un corps violenté ayant perdu sa liberté.
Une prostituée triste ouvre ses cuisses. L’origine du monde est une douleur, cicatrice se déchirant à chaque nouveau client.
Flotte un rideau que déchirera le couteau d’un assaillant, ou une rafale de kalachnikov.
Les « Survivants » sont avant tout des sursitaires, en attente d’une prochaine atrocité.

A Auschwitz, la vie a repris son cours (a-t-il jamais cessé ?), mais Simon Kluger, dernier juif de la ville, s’est éteint en 2000. Les cendres des crématoires se sont répandues, dans une pépinière florissante, à la piscine olympique de l’entreprise Firma ou sur le ventre nu de la miss locale.
Tout est calme dans le camp muséifié, près duquel une discothèque (L’Arlequin) a été construite, et l’on sait que le mal pourra revenir, qu’il reviendra, qu’il est revenu, dans l’amnésie et la fausse joie.
Il neige dans la ville abandonnée de Pripiat. Des arbres ont poussé depuis la catastrophe de Tchernobyl, ce sont, sous l’objectif de Guillaume Herbaut, des agents de la mort, dressés comme autant de cercueils verticaux.

Le journaliste rappelle que Fat Man est le nom de la bombe tombée sur un quartier de Nagasaki appelé Urakami, faisant immédiatement 75 000 morts. Et le photographe de montrer de façon glaçante des alignements de bocaux contenant des organes de victimes conservés jusqu’à leur restitution dans les années 1970 par des scientifiques américains.

Comme l’écrivait Faulkner, le passé ne passe pas, il n’est même pas passé. Les cerisiers comme à chaque saison sont en fleurs, mais la beauté est impuissante quand le corps a tant souffert.
Guillaume Herbaut ne moralise pas, mais associe, monte, crée des séquences d’images qui sont de l’ordre d’un mémorial soulevant chez le spectateur une indignation calme, propice à la réflexion.
Les corps martyrisés de femmes se succèdent à Ciudad Juarez, quatrième ville mexicaine, les mafias recrutent, des règlements de compte éclatent, du sang éclabousse un parechoc, le désert pue, la drogue s’échange en plein air, on respire mal, en se demandant où et qui la mort frappera une nouvelle fois.

Guillaume Herbaut tire le rideau, se déshabille, se photographie, puis reprend la route, c’est une question d’éthique.
Parole d’une adolescente albanaise ayant refusé la logique sans fin de la vendetta : « Ma vengeance sera de vivre pour être heureuse. »
Guillaume Herbaut, 7/7, L’ombre des vivants, éditions de La Martinière, 2016, 168p

Découvrir le site de Guillaume Herbaut
