Marcel Duchamp revisited, une manière de biographie dessinée, par Benoît Preteseille

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Tout commence par un rêve du dessinateur Benoît Preteseille (des albums remarqués chez Cornélius), dans lequel apparaît Marcel Duchamp, mettant en garde son futur biographe : « Je vous serais reconnaissant de ne pas raconter n’importe quoi sur moi après ma mort, n’est-ce pas ? »

La réponse donne le ton : « Mince. Il a dû sentir que je prépare un livre sur lui. »

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Commence alors une biographie dessinée rondement menée, intelligente, claire, fourmillant d’informations essentielles pour qui souhaite mieux comprendre le « quincailler » de l’art, Marcel Duchamp, né en Normandie en 1867.

Parcours d’un jeune dessinateur de presse (« le piano aqueux ») ayant fait son service militaire comme apprenti typographe, inventant peu à peu un univers d’œuvres évacuant les notions de beauté et de peinture rétinienne pour privilégier celles de logique, de jeux de langage (après la découverte des Impressions d’Afrique, de Raymond Roussel, et des travaux du linguiste fantaisiste Jean-Pierre Brisset) et de décomposition du mouvement – une sorte de cubisme dynamique d’abord.

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Ayant trouvé sa voix (faire travailler le spectateur plus que lui-même, dérouter les perceptions convenues, dessiner avec l’esprit, jouer de la surprise des titres, des gestes esthétiques), Marcel Duchamp apporte le souffle de la révolution (une roue de bicyclette montée sur un tabouret de cuisine) dans l’art.

L’exposition à New York en 1913, à l’Armory Show, du fameux Nu descendant l’escalier, fait de lui, aux yeux de la critique américaine enthousiaste, le pape des artistes français.

Confidence d’un maître d’échecs (Marcel Duchamp acquerra un niveau excellent) : « Perdu dans mes pensées sur le lien entre les machines et les désirs, j’ai croisé dans une vitrine une broyeuse de chocolat. »

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Ne se sentant pas concerné par la Première Guerre mondiale, et son idéologie mortifère/nationaliste, il part à New York en 1915 et expose le premier ready made de l’histoire de l’art : un porte bouteille, dont la forme se prête facilement aux allusions sexuelles – qui abonderont.

Aux Etats-Unis, il rencontre des mondaines, Francis Picabia, Man Ray, Arthur Cravan, Alfred Stieglitz (qui photographie en 1917 son désormais célèbre Urinoir), et fait la noce avec son ami Henri-Pierre Roché, avant de partir pour Buenos Aires (il s’y ennuie), de revenir à Paris (époque de L.H.O.O.Q), puis de retourner en 1920 dans un New York assombri par la prohibition.

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Gentiment irrévérencieux envers Guillaume Apollinaire (le ridicule de la déclamation), Benoît Preteseille montre bien l’importance de l’anarchiste Francis Picabia pour Duchamp le pyrrhonien, adepte d’une science des jeux formels lui ayant permis d’explorer un chemin des plus personnels, alors que Dada remettait, de Zurich à Tokyo, les compteurs à zéro.

Eleveur de poussière, adepte de l’infra-mince et du pelliculaire, grand amateur de problèmes optiques, l’ami de Brancusi – qu’il aida financièrement – prend de l’autre côte de l’Atlantique le nouveau nom de Rrose Selavy, jouant avec son identité, et continuant « à faire des œuvres que personne ne voit » (par exemple de saisissants rotoreliefs).

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Reconnu comme un artiste majeur par les Rauschenberg, Tinguely, Johns et De Kooning, objet d’une vaste exposition en 1963 à Pasadena (il a 76 ans), Marcel Duchamp « assiste, impassible et bénévole, à la cristallisation en exploits légendaires de ses plus banales actions » (Michel Sanouillet).

Adoptant un système de bichromie (vert/rose) élégant, et efficace narrativement, le dessinateur-éditeur-chanteur Preteseille dresse le portrait d’un homme suprêmement présent, car suprêmement indifférent, préférant les échecs, et le corps de ses maîtresses (Prière de toucher) aux petites manigances narcissiques de ses contemporains.

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Publié par les éditions suisses (Genève) Atrabile, Duchamp Marcel quincaillerie est une sorte de précis duchampien pour qui ne peut se contenter des préjugés généralement attachés aux basques de cet ange exterminateur, permettant de rêver à la grande exposition qui nous engagera enfin à réévaluer l’ensemble de nos jugements, dans le déploiement de l’éventail incroyable d’œuvres le plus souvent très méconnues.

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Les plus chanceux/fortunés peuvent en attendant se rendre au musée de Philadelphie, où les époux Arenberg, soutiens de la première heure, et la mécène Katherine Dreier, ont fait don de collections de premier ordre.

Marcel Duchamp aura fait écrire sur sa tombe, une dernière fois ironique : « D’ailleurs, c’est toujours les autres qui meurent. »

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Benoît Preteseille, Duchamp Marcel, Quincaillerie, éditions Atrabile, 2016, 144p

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Découvrir le site des éditions Atrabile

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Site de Benoît Preteseille

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