Unica Zürn, machine désirante, par Perrine Le Querrec

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Les éditions Tinbad s’imposent de plus en plus dans le paysage éditorial français, et c’est une excellente nouvelle.

Leur dernière livraison, totalement inattendue, est un bijou noir, somptueux, vénéneux, une « ruine de biographème » consacrée à l’anagrammatique et tourmentée Unica Zürn (1916-1970), compagne du plasticien Hans Bellmer.

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Ecrit par la poétesse Perrine Le Querrec, très appréciée du côté des éditions Les doigts dans la prose, Derrière la salle de bains, Lunatique, Les carnets du dessert de lune, Ruines est une série de chants douloureux, rescapés, se heurtant au mur droit de la page pour ne pas chanceler totalement, comme on pose son front contre une vitre quand la terre se dérobe.

Premiers vers, premières « balles traçantes », premiers traits construisant un roc, une pierre sacrée percutée, sculptée :

                                                   « Nora Berta Unika Ruth

                                                      Devenue Unica l’unique

                                                        La secrète et la discrète

                                                       Devenue Unica l’unique

                                                        La ficelée et l’échevelée

                                                        Devenue Unica l’unique

                                                         Visages, fagot de failles

                                                        Devenue Unica l’unique

                                                                           Hans et Unica

                                                    Devenus Unica l’unique »

La naissance d’Unika-Unica unique a la puissance des récits d’origines.

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Fond de culotte frottée sur le marchepied des livres de papa, Unica est une petite poupée tordue.

Son enfance ? « autorité, nazisme, trahison, / Langue viol / ennemi intérieur. »

Des mots sont biffés, des passages noircis, on avance à l’aveugle, parmi des filaments de phrases.

« Un sein comme un éventail / un ventre en plissé rose / une nuque comme un paon / des jambes de tulle froissé / un cou en ruban / Sur le canapé noir, Unica assise / dans un silence de presque morte »

Unica et Hans forment une machine désirante, impudique. Peau à vif, prothèses, ficelles, greffes, amas de cellules, « le trou violet foré jusqu’à l’os », perte des limites, folie.

Le vice donne la main au vice, et la poétesse de lancer le « lasso de son encre » pour en ramener des membres déchirés.

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Le corps est en morceaux, suturé de cordes. UnicaHans.

SM-HP-UH. Tenter l’impossible fusion, dilution, abandon, décréation.

Michaux (Henri) est là, amical, qui rétablit la barre, soutien de famille.

Hans est cloué, Unica se suicide.

Perrine est en visite – sixième étage -, voit la fenêtre, puis  jette quelques brassées de mots retombant en poèmes sur le macadam.

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Dans une postface impérieuse, sublime, Manuel Anceau : « Le Querrec écrit avec les ongles longs de qui laisse pousser au bout de ses doigts cet accent de vérité qu’on voudrait parfois limer, ne pas entendre, mais qu’intraitable notre écrivain fait si souvent crisser sur ce qui est moins une marge qu’un mur ; et il y a dans sa mise en page, si particulière, un rappel brutal, se faisant au final absolument bouleversant (on ne peut qu’y arriver à ce moment fatal, et on ne peut que ne jamais l’atteindre) de ce qu’est, au sens propre, un saut à la ligne. »

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Perrine Le Querrec, Ruines, postface de Manuel Anceau, éditions Tinbad, 2017, 64p – le livre paraît le 25 avril 2017

Site des éditions Tinbad

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