Michel Journiac, la photographie comme perturbateur identitaire

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Hommage à Freud : Constat critique d’une mythologie travestie, 1972 Collection Maison européenne de la photographie © Atelier Journiac Miège, Paris

Pour dénoncer faux-semblants et hypocrisies sociales, Michel Journiac (1935-1995) a utilisé son corps.

Artiste emblématique des années 1970 et 1980, à l’origine avec Gina Pane et Vito Acconci de l’art corporel en France, il fascine et choque le public avec une performance ayant fait date, Messe pour un corps (1969), action où il invite chacun à venir déguster un boudin réalisé avec son propre sang.

Adepte des gestes transgressifs, Michel Journiac n’a cessé d’interroger les assignations identitaires, notamment de genre (Hommage à Freud, L’Inceste), et de déranger l’ordre des apparences.

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Le vierge mère, 1982-1983 Courtesy galerie Christophe Gaillard © Atelier Journiac Miège, Paris

« Le corps, c’est ce qui surgit et qui nous pose en permanence la question que l’on ne peut pas détruire. Les idées peuvent évoluer, se transformer, on peut utiliser tous les sophismes possibles et inimaginables pour s’en tirer, mais devant quelqu’un que l’on désire ou devant la mort, le cadavre, les idéologies craquent. C’est là que la création a son rôle à jouer en assumant cette tentative d’approche du corps (…) A partir de là, je pense toute la question de mon travail. »

A l’occasion d’une exposition à la Maison Européenne de la Photographie des travaux photographiques de l’artiste, les éditions Xavier Barral publient le livre sobrement intitulé, Michel Journiac, reprenant l’organisation tripartite pensée par les commissaires (Françoise Docquier et Pascal Hoël) ayant œuvré à la MEP : les Pièges et travestissements, les Rituels et les Contrats, et à partir de 1988 les Icônes du temps présent, « où le désir, la souffrance et la mort s’inscrivent en permanence dans les images » (le sida fait alors des ravages, le sang est malade).

Rituel pour un autre, Galerie Stadler. Le marquage de sang ; 197

Rituel pour un autre, Galerie Stadler. Le marquage du sang, 1976 Collection Maison uropéenne de la photographie © Atelier Journiac Miège, Paris

Désignant son corps comme « viande consciente socialisée », ce grand subversif aura fait de la parodie (Référendum Journiac, parodie d’élection présidentielle) et du travestissement des armes de guerre contre l’étouffoir de la bienséance, notamment dans la série fondamentale inspirée de la nouvelle de l’écrivain autrichien Stefan Zweig (1927), 24 heures de la vie d’une femme ordinaire. L’adjectif fait  l’effet d’une bombe.

Journiac y apparaît en femme fatale, blonde hollywoodienne portant robe longue et collier de perles, abîmée dans des scènes où le spectateur la voit dans des activités ménagères, faisant songer, à la même époque, aux déconstructions des stéréotypes sociaux tels que travaillés par Annette Messager et Cindy Sherman. Sans oublier que sous la robe de fête gît la merde.

Construisant ses performances comme des liturgies noires et paradoxalement pleines d’humour, l’auteur de L’action meurtre, ancien séminariste, fit de sa chair, souvent violentée, un sacrifice irrévérencieux.

24 H de la vie d’une femme ordinaire. Le quotidien. Le raccord
24 heures de la vie d’une femme ordinaire. Le quotidien. Le raccord, 1974 Collection Maison européenne de la photographie © Atelier Journiac Miège, Paris

Dans le premier numéro de La Revue, publication de la Maison Européenne de la Photographie confiée à Guillaume de Sardes (son éditorial est un éloge du corps photographique, de sa puissance, de sa fragilité, de sa mutabilité, et de sa dimension politique), Alix Agret ose une analogie savoureuse entre Michel Journiac et Jacques Mesrine, tous deux ennemis publics numéros 1, éclairant également le devenir-queer d’un artiste désormais promis à une grande postérité critique : « Journiac a brutalisé les genres, mêlant librement le masculin et/ou le féminin et leurs clichés respectifs. Héritier de Rrose Sélavy, le double de Duchamp que sa séduction transgenre plongeait dans une « euphorie constante », im prône une liberté queer portée, quelques années plus tard, par une génération d’intellectuels anglo-saxons – Eve Kosofsky Sedgwick, Judith Butler ou Leo Bersani parmi bien d’autres -, qui exprimaient le même désir de perversion, d’extase, donc de sortie hors de soi et de ses confortables certitudes. »

L’altérité est ainsi pensée non comme une extériorité mais une autre façon d’être soi.

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Piège pour un travesti : Arletty, 1972 Collection Maison européenne de la photographie © Atelier Journiac Miège, Paris

Loin d’être une petite affaire personnelle, le travail qu’opère Michel Journiac sur les codes de la représentation provoque des perturbations salutaires en piégeant nos réflexes identitaires, et libérant par le jeu troublant du masque et du dévoilement d’autres possibilités d’être au monde.

« S’il y a un sacré, il est là, ici et maintenant, dans la rue, loin des impératifs moraux et des idées reçues. »

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Michel Journiac, L’action photographique, textes de Michel Journiac, Jean-Luc Monterosso, Françoise Docquiert, éditions Xavier Barral, 2017 – 130 photographies couleur et noir et blanc

Editions Xavier Barral

La Revue, textes de Alix Agret, Irène Attinger, Emmanuel Bacquet, Nicolas Comment, Florian Gaité, Paloma Hidalgo, Sylvie Hugues, John Jefferson Selve, Cédric Mazet Zaccardelli, François Michaud, Christine Ollier, Florent Papin, Vincent Petitet, Bernard Plossu, Gildas Veneau, Jean-Luc Monterosso, Guillaume de Sardes, numéro 1, printemps-été 2017, 122 pages

Exposition à La Maison Européenne de la Photographie (Paris), conçue par Françoise Docquier et Pascal Hoël, rassemblant plus d’une centaine d’œuvres originales réalisées entre 1969 et 1994 – du 20 avril au 18 juin 2017

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Rituel du sang. Rencontre de l’homme / Rencontre de la femme, 1976 Courtesy galerie Christophe Gaillard © Atelier Journiac Miège, Paris

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