C’est un livre qui fait immédiatement un bien fou, parce que son regard est terriblement paisible et de pur accueil. Comme si Daech et la fureur iconoclaste n’avaient jamais existé.
Palmyre, Alep, Damas, Images de Syrie, de Michel Eisenlohr est le fruit d’un voyage en Orient entrepris par le photographe en 2002, alors invité à présenter son travail au Festival international de photographie d’Alep, fondé par Issa Touma en 1997.
Parti en voiture de Marseille, Michel Eisenlohr a pénétré en Syrie par le Nord, découvrant les cités prestigieuses et les villages antiques du pays d’Adonis, « les fameuses villes mortes comme Serjilla, qui témoignent de la fusion entre le monde païen de l’Empire romain et le christianisme byzantin ».
A l’argentique, en noir et blanc, à la façon des premiers explorateurs munis d’appareils photographiques, l’artiste documente une véritable rencontre amoureuse avec un pays qui l’éblouit : « Ma vision est celle d’un récit poétique, pudique et discret – je l’espère – face à la mémoire des lieux et à l’intimité des êtres. Dans ce pays au mouvement accéléré, où jour après jour les hommes fuient, résistent, se terrent, errent, font table rase, il s’agit, pour moi, en diffusant ces images, d’essayer de transmettre l’insondable, une émotion silencieuse qui dépasse le simple fait de capter la réalité. Et s’effacer. Essayer, à ma façon, de transcender le réel pour en manifester le sublime. »
Apparaissent Palmyre et Apamée dans toute leur nudité, miracles de colonnes antiques tenant debout ou effondrées comme des dieux au repos.
Quelques humains, çà et là, mais surtout la pierre, les ciels immenses et les rêves de gloire, tout cet effort de remerciement envers qui gouverne secrètement l’ordre des apparences et les manifestations du visible.
Palmyre, Alep, Damas est une exposition réalisée en partenariat avec l’Ecole nationale de la photographie d’Arles, et actuellement visible dans le site archéologique de Glanum, cité grecque située sur la commune de Saint-Rémy-de-Provence, mais c’est aussi un livre publié par les éditions Actes Sud, accompagné de nombreux textes.
Lionel Izac, responsable du site de Glanum, rappelle l’important engagement auprès de leurs confrères syriens – notamment depuis l’assassinat par décapitation de Khaled Assaad, ancien administrateur du site de Palmyre – des scientifiques des laboratoires d’archéologie du CNRS et des universités françaises.
De Palmyre à Glanum, l’arc méditerranéen en ses superbes vestiges peut être pensé comme une continuité, une même organicité, qu’il convient de défendre, afin de ne pas hypothéquer le futur par un oubli du passé.
La diffusion du travail de Michel Eisenlohr participe donc d’une reconstruction de la mémoire, une preuve de l’indestructible de la beauté face à ce qui la nie.
Palmyre, Alep, Damas, n’est donc pas qu’une suite photographique, c’est une gigantesque entreprise de civilisation, dont la qualité des intervenants ayant pris part au livre témoigne.
Dans un texte intitulé « La lutte contre le trafic illicite du patrimoine archéologique », Yann Brun et Bertrand Triboulot précisent opportunément que la Cour pénale internationale de La Haye a qualifié de « crime de guerre » la destruction intentionnelle en 2012 des mausolées à Tombouctou au Mali, et que la France a récemment renforcé son arsenal juridique pour sanctionner la participation intentionnelle à un trafic illicite.
On regarde alors une nouvelle fois les images de Michel Eisenlohr, le geste lent d’un homme balayant un bassin sans eau d’un caravansérail, des religieuses en voiles blancs descendant les escaliers de la citadelle d’Alep, les norias gigantesques de la ville de Hama, des inscriptions arabes sur le célèbre Krak des chevaliers.
Tout est là, intact.
Ame sentinelle, murmurons l’aveu, de la nuit si nulle et du jour en feu.
Michel Eisenlohr, Palmyre, Alep, Damas, Images de Syrie, textes de Pierre Gros, Yann Brun, Bertrand Triboulot, Houmam Saad, Philippe Bélaval, Issa Touma, Michel Eisenholr et Lionel Izac, éditions Actes Sud / Centre des Monuments Nationaux, 2017, 120 pages
Exposition De Palmyre à Glanum – Photographies de Michel Eisenlohr, dans le site archéologique de Glanum et à l’Hôtel de Sade (Saint-Rémy-de-Provence), du 17 juin au 17 septembre 2017 – vernissage de l’exposition le vendredi 23 juin à l’Hôtel de Sade, à 18h
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