
Des dunes recouvertes de givre saisonnier, des cratères titanesques, des canyons d’une profondeur incroyable, des plaines de laves, des volcans de 22 000 mètres.
De la peinture en format démesuré, des coulures de milliers de mètres, des formes extravagantes, des sinuosités voluptueuses, un feuilleté colossal de présences inouïes.
Ainsi se présente le sidérant Mars, Une exploration photographique, qu’ont conçu de concert les scientifiques Francis Rocard, astrophysicien, Alfred McEwen, professeur de science planétaire, responsable de HiRISE, caméra équipant la sonde américaine MRO mise en orbite en 2006 à une distance moyenne de 300 kilomètres de la planète Mars, et l’éditeur Xavier Barral, maître d’œuvre d’un livre somptueux, hors norme, unanimement salué depuis sa première publication en 2013 en grand format.

Du sable noir, des calottes polaires, des amoncellements de roches, des ergs considérables, la puissance de sculpture des forces chtoniennes.
Des vents inimaginables. Des tornades de poussières.
Ce que nul n’a jamais vu, le grand mystère des mondes premiers, inviolés, neufs malgré leurs millénaires.
Le dévoilement d’un secret dont nous pouvons craindre de ne pas être à la hauteur, comme si l’univers nous montrait soudain ses dessous, ses falbalas de pierres, en toute confiance.

L’atlas visuel qu’offre Mars en ses 150 images couvrant chacune six kilomètres de large (choix de Xavier Barral parmi un corpus composé d’une dizaine de milliers de clichés conservés par la NASA) est ainsi sans exemple. Il est d’un Pierre Soulages extraterrestre, d’un Hans Hartung des confins de l’univers, d’un Sigmar Polke extatique, ou d’un Jean Dubuffet aux centaines de tentacules atroces et rieuses.
Sur l’astre rouge la nature fait de la peinture.
Cette mitochondrie est une butte de sédiments.
Cet ensemble stratifié est une écorce d’arbre, ou une peau de pachyderme.
Ces volcans sont des bulles d’eau, ou des champignonnières.
Ces myriades de points précisément ordonnés sont de la limaille de fer, et ce drôle de paysage une plaque de cuivre gravée.

Nous tentons de les approcher, mais les paysages de grande organicité que nous contemplons échappent à la nomination, comme si Mars dessinait à même le sol de ses vallées vertigineuses la topographie de notre inconscient.
L’antinomie entre science et art ne tient plus. Partout c’est un paysage d’abstractions et de traces étranges laissées par des inconnus. Des géants de trois milliards d’années calligraphiant en marchant.
Ici, comme chez Henri Michaux, la nuit remue.
De tonalité fantastique, les images pourraient être aussi les visions d’un moine zen tranquillement assis dans le jardin de son temple, un thé bouillant posé près de lui, recouvert de feuilles d’hibiscus.
Continuité naturelle entre géologie et poésie, entre mondes premiers et mondes derniers, entre Terre et Mars se lançant des pierres pour jouer.
On attend vers 2025-2030, selon Nathalie Chapuis, auteure d’une très précise « Chronologie de l’observation de la planète Mars », l’arrivée de premiers échantillons martiens.
Révèleront-ils une présence de vie ancienne, se questionne le planétologue Francis Rocard dans la conclusion de son texte, Une géologie de l’excès ?
Nous en reparlerons, c’est bien moins que demain à l’échelle du système solaire.
En attendant, que Phobos et Deimos, les deux satellites martiens, s’amusent encore un peu sans nous !
Mars, Une exploration photographique, textes de Francis Rocard, Alfred S. McEwen, Xavier Barral, avec la collaboration de Sébastien Girard, Nicolas Mangold et Nathalie Chapuis, 2017, 296 pages
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