De la vulnérabilité, par Alain Willaume, photographe

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Invité par François Hébel à exposer dans la galerie du FIAF à New York, à l’occasion du festival Crossing the Line, le photographe Alain Willaume, de l’agence Tendance floue, a conçu une installation de nature très méditative, remontant parfois très loin dans la chronologie de ses travaux.

Immergé dans un ensemble d’images provenant de séries très différentes, le spectateur sera face à l’énigme de leur apparition, construisant un sens, un parcours, laissé ouvert par le dispositif de présentation de photographies choisies pour leur capacité à troubler le réel et interroger nos certitudes de vision.

Intitulée Vulnérable, cette exposition est une méditation sur notre précarité fondamentale, et nos prétentions de maîtrise, mais aussi un éloge du fragile et du doute considérés comme force politique.

« Au FIAF ce n’est pas une installation se servant de documents photographiques ce sont des photographies installées. » (François Hébel)

Conversation avec Alain Willaume, photographe au travail constamment passionnant.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Pour qui n’aura pas la chance de se rendre prochainement à New York, comment se présente votre installation conçue avec François Hebel nommée Vulnerable ?

C’est une installation composée essentiellement de grands, voire très grands formats présentés dans la pénombre, une variation autour de la méditation et de la vulnérabilité.
François Hébel m’a proposé ce projet en me disant qu’il souhaitait investir physiquement la galerie du FIAF, concevoir « une installation totale occupant tous les murs en papier imprimé ». Parallèlement, Lili Chopra, la directrice artistique du festival Crossing The Line dans lequel s’inscrit l’exposition, m’a dit qu’un des fils rouges de sa programmation était la méditation. Une des œuvres présentées, lors du festival, sera par exemple « Voir la mer » de Sophie Calle. Diffusée pour l’occasion sur les écrans électroniques de Times Square, c’est une magistrale interprétation du thème de la méditation par le truchement à la fois du portrait et du paysage.
Comme souvent avec François Hébel, j’ai d’abord été pris de court par sa proposition, me sentant en quelque sorte en terrain… vulnérable : autant la méditation fait écho à certains de mes travaux, autant occuper l’espace avec de très grands formats est nouveau pour moi. D’autant plus que ces dernières années, j’ai plutôt travaillé sur des petits formats où se frottent les notions d’infini et d’intimité et où l’encadrement joue un certain rôle dans la perception des images.
Après réflexion, j’ai finalement relevé le défi avec gourmandise, travaillant sur les plans de la galerie et prenant les murs d’assaut. J’ai d’abord cherché dans l’ensemble de mes images celles qui étaient liées à la méditation. Sur cette première base, nous avons dialogué ensemble avec François Hébel, mais sans qu’il ne soit jamais question de « scénario ». Lorsque la question de trouver un titre s’est posée, et que nous nous sommes arrêtés sur le mot vulnérable, j’ai enrichi le choix premier en remontant parfois très loin dans la chronologie de mes images. La plus ancienne image date de 1978 et la dernière a été réalisée en mai de cette année 2017 pour le projet Azimut (Découvrir le projet Azimut). Alimenté par nos intuitions respectives, une sorte de récit est ainsi né sous nos yeux, issu d’un tissage entre des images qui remontaient à la surface selon un processus organique et finalement très précis.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Je pense que l’expérience physique des visiteurs sera très particulière et induira pour chacun(e)  des lectures spécifiques d’un rébus qui, pour l’instant, nous échappe. François Hébel a d’ailleurs parlé du projet comme d’une « œuvre  à consommer par les sens et dont la spécificité des lieux ou des personnes photographiées ne constitue pas en soi une histoire ». Il y a là posés les éléments constitutifs d’une énigme. Cela entre bien en résonance avec mon traitement non documentaire du réel, une appréhension de la réalité où la question soulevée est plus importante et plus stimulante que la réponse. On sera là dans une sorte de protocole du doute, renforcée par l’ambivalence des images, par la théâtralité des formats et par l’éclairage crépusculaire.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Pourquoi ce titre ?

La notion de vulnérabilité m’est chère parce qu’elle est à la fois omniprésente et paradoxale. Elle est omniprésente dans le sentiment de peur et de précarisation de nos sociétés occidentales vieillissantes [alors même que nous avons su développer des savoirs, des richesses et des technologies qui devraient pouvoir littéralement sauver le monde]. Elle est également paradoxale parce que nous vivons dans des sociétés marchandes qui érigent la performance, l’ego et le court-terme en normes absolues, moquant la fragilité, raillant la lenteur, méprisant le doute et la douleur. Les conséquences de cette attitude prédatrice sont en train de devenir flagrantes sur l’environnement, sur le climat, sur le mental des peuples. Cette pression dominatrice se retourne peu à peu contre nous et finit par nous menacer en rendant toutes choses et nous tous plus vulnérables. Les dysfonctionnements environnementaux aussi bien que la phobie de l’Autre illustrent les conséquences de nos comportements autocentrés. Plus nous devenons agressifs vis-à-vis de notre environnement et de nos semblables, plus nous fragilisons ce que nous avons construit. En élevant toujours plus haut des dispositifs sécuritaires, en nous barricadant derrière nos certitudes et notre avidité suprématiste, nous menaçons notre existence même. La croyance aveugle en notre invincibilité nous rend vulnérables comme jamais.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

L’exposition évoque aussi la vulnérabilité du voyageur, de l’exilé ou du migrant, à l’opposé de l’invincibilité de celui qui « fait » un pays au lieu d’être « défait » par son voyage, utilisant le monde comme un terrain de loisir mis à son service. La présence des paysages dans l’exposition est ainsi un hommage à la terre où l’on se perd, où l’on prend conscience de sa vulnérabilité.

Quelles images avez-vous choisies ? Votre installation est-elle de nature rétrospective ? La notion de paysage est-elle ici centrale?

J’ai choisi les images en suivant ces deux fils rouges : la thématique sous-jacente du festival et le titre choisi pour l’exposition. Les deux se « frottent » bien l’un à l’autre : le méditatif et le vulnérable se lovent ici au sein d’une actualité américaine brûlante et traumatique. Durant ce mois d’août où j’ai travaillé sur le projet de l’exposition, les affrontements de Charlottesville, les inondations consécutives à l’ouragan Harvey et les tensions avec la Corée du Nord se sont télescopés. Comment, dans un tel contexte, ne pas penser à la vulnérabilité ?

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

L’installation est le produit de ces frictions et n’a pas de valeur rétrospective si ce n’est qu’elle puise dans l’ensemble de mes images et construit des ponts entre elles. La force méditative des paysages choisis fait écho à la vulnérabilité des femmes et des hommes qui habitent l’espace d’exposition.

Toutes les images choisies ont en elles un fort potentiel d’ambiguïté afin que toujours un doute subsiste sur ce que voit le visiteur : sommes-nous sur Terre ou sur une autre planète ? Cette foule est-elle prisonnière ou spectatrice ? Cette femme voilée est-elle une musulmane ? Ce jeune soldat connaît-il la défaite ? Cette autre femme supplie t-elle qu’on l’épargne ou prie-t-elle son dieu ? Et d’abord, est-ce une femme ? Cet avion est-il de combat ou inoffensif ? Que signifie donc ce graffiti poignant ? Cet homme nous montre t-il un danger ou un détail du paysage ? Et celui-ci est-il un terroriste ou un guetteur frileux ? Pièce d’artillerie ou corne de brume ? Bouche de volcan ou impact d’obus ? Semana Santa ou Ku Klux Klan ? Quel est cet enfant irréel, ce cri ?… Toutes ces images sont incertaines et rendent notre lecture vulnérable au doute. La seule séquence complète et constituée de « vrais » tirages encadrés et de petit format est une énigme en soi (découvrir le travail d’Alain Willaume en Afrique du Sud). Pour moi, ce medium drogué au réel qu’est la photographie n’est jamais si riche et efficace que quand il remet en question ce réel plutôt que d’imposer une réponse toute faite.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Avez-vous déjà exposé aux Etats-Unis ? Qu’en est-il de l’accueil de la photographie contemporaine française dans ce pays ?

C’est ma première exposition aux USA. Intuitivement, je dirais que la photographie contemporaine française existe peu aux USA. La France reste cantonnée à être le pays d’Atget et de la tradition humaniste d’après-guerre, ce qui n’est, après tout, qu’un juste retour des choses si l’on songe au dédain qu’a longtemps suscité dans la France des années 60-70 la photographie américaine de l’époque, ses couleurs vulgaires ou sa « banalité » confondante.

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Comment comprenez-vous le concept que François Hébel a désigné par l’expression « The French Protocol » ?

Pour reprendre ses mots, « le protocole est une pratique de la photographie consciente et contrôlée. Il définit des approches techniques et esthétiques sériées, un cadrage, une lumière, qui deviennent la signature d’un projet ou de l’œuvre entière d’un photographe. L’exact inverse de l’instant décisif cher à Henri Cartier-Bresson auquel a longtemps été identifiée la photographie française.

Développé d’abord par les Anglo-Saxons alors que les Français étaient attachés au reportage et au récit, une génération de photographes s’en empare aujourd’hui ».

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

À la lecture de ce qui précède, vous aurez compris que je revendique volontiers d’être à « l’exact inverse de l’instant décisif ».

Propos recueillis par Fabien Ribery

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copyright Alain Willaume / Tendance floue

Mieux connaître Alain Willaume

Lire « Photographier la menace », mon entretien précédent avec Alain Willaume

Lire mon article sur le projet Azimut

Vulnérable, une exposition d’Alain Willaume conçue avec François Hébel pour la galerie du FIAF (New York) – du 15 septembre au 28 octobre 2017

Exposition Vulnérable

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vue de l’exposition – copyright Alain Willaume

Découvrir le FIAF, French Institute Alliance Française

Festival Crossing the line

 

 

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