
Sleeping by the Mississipi, du photographe Alec Soth est un livre dont le succès public et critique ne se dément pas, depuis sa première publication par Steidl en 2004.
Les éditions MACK nous donnent aujourd’hui la chance de redécouvrir ce travail magistral à la faveur d’une nouvelle édition de superbe facture (la quatrième), comprenant deux tirages inédits, ainsi qu’un poster.
Exposés à la galerie londonienne Beetles & Huxley du 19 septembre au 21 octobre 2017, les images du photographe de Minneapolis (Minnesota) forment le socle d’une œuvre développée par la suite avec NIAGARA (2006), Broken Manuel (2010) et Songbook (2015).

Membre de l’agence Magnum, Alec Soth a pensé la série de Sleeping by the Mississipi comme un récit muet, une sorte de sidération de la parole par le verbe incarné des images.
Parcourant les rives du Mississipi, le photographe rencontre des paysages, des intérieurs, des individus, dont la présence en son livre semblent des miracles, comme un continuum de natures mortes (Bible study book, Vicburk, Mississipi) porteuses de sainteté.
Le format des images est large permettant une lecture précise des détails, et une contemplation menant à l’introspection.

Alec Soth voit le monde en coloriste, non par goût de la joliesse, mais parce que le meilleur de l’histoire de l’art informe son regard.
A l’instar des Américains, de Robert Frank, la sensation poétique du monde, sa fragilité, sa merveille, est ici mise au service d’une approche documentaire bien moins exhaustive que suggestive et personnelle.
En effet, Il s’agit avant tout de célébrer de façon à la fois interrogative et extatique l’héritage de Walt Whitman, avec un lyrisme doux, mélancolique, élégiaque, très attentif aux solitudes des sujets représentés.

La plupart des personnages semblent inquiets, ou perdus dans leurs rêveries, comme en attente de révélation. Alec Soth les isole chez eux ou dans la rue (Patrick, Palm Sunday, Baton rouge, Louisiana) non sans ironie quelquefois, et nous qui les regardons sommes peut-être les sauveurs tant espérés durant les nuits de veille (Bonnie – with a photograph of an Angel -, Port Gibson, Mississipi).

Il y a de la catastrophe, de la ruine, de la mort, dans ce blues mental en 46 images qu’est Sleeping by the Mississipi, mais aussi de la grâce (Peter’s houseboat, Winona, Minnesota) ou de la drôlerie (Lenny, Minneapolis, Minnesota).

Des matelas abandonnés (Helena, Arkansas), des habitations vétustes (Jimmie’s apartment, Memphis, Tennessee), des pasteurs évangélistes (Reverend Cecil and Felicia, Saint Louis, Missouri), des prisonniers au champ (The Farm, Angola State Prison, Louisiana), et la maison d’enfance de Johnny Cash à Dyess, Arkansas.
Des corps malades, de la misère sexuelle, des envies de divertissements, mais aussi le sentiment déchirant de la finitude.

Il y a du romantisme allemand chez Alec Soth, Wanderer américain, sensible aux ciels et aux seuils, aux passages de rive et à la chute possible de l’humanité pécheresse, que rédime le sublime d’un travail artistique, où la nature, en ses formes et couleurs révélées, est une puissance de vie considérable.
Le Mississippi gronde, il sera bientôt en crue, et l’Amérique se rappellera qu’il y a en son centre fluvial méconnu un monde de légendes et de peurs, d’angoisses primordiales et de tensions raciales, une humaine condition forgée par une nature souveraine, dangereuse et superbe.
Alec Soth, Sleeping by the Mississippi, textes de Patricia Hampl et Anne Wilkes Tucker, MACK (Londres), 2017, 120 pages
Alec Soth, Sleeping by the Mississippi, exposition à la galerie Beetles & Huxley (Londres) – du 19 septembre au 21 octobre 2017

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