Nove sed non nova, la manière est nouvelle, pas la matière, par Halogénure, revue de photographie aléatoire

┬® Alfons Alt
© Alfons Alt

Sur le petit front des revues de photographie, l’apparition d’Halogènure est une excellente nouvelle.

Revue franco-belge, Halogénure axe sa spécificité sur la pratique des procédés photographiques analogiques et alternatifs.

Voici un extrait de sa profession de foi : « Nous encourageons toutes les formes d’expériences, d’échanges et d’hybridations, du moment qu’elles sont créatrices de sens et ne relèvent pas d’une volonté de mystification du spectateur ou du marché. »

La laboratoire sera ici valorisé, non comme simple exercice ludique, mais comme producteur de monde, ainsi que la parole des photographes sous la forme d’entretiens (pas question de recopier les communiqués de presse).

┬® Ire╠Çne de Groot
© Irène de Groot

Importance est aussi accordée à la qualité des écritures, offrant la possibilité d’un partage, d’une rencontre vraie entre sensibilités (triade photographe/rédacteur/lecteur).

Immédiatement remarquable, la qualité éditoriale (chaque livraison se présente sous la forme de trois cahiers rassemblés de même format, en noir & blanc et couleurs) n’est pas le moindre des apports d’une revue ayant choisi le support papier (soutien du financement participatif et des abonnements) pour rendre compte de la matérialité d’images sélectionnées pour leur grande densité de matière et de sens (des œuvres ouvertes).

Le principe général est donc fondé sur une sensation poétique de l’existence, dont le médium photographique est aujourd’hui, quand il est pensé de bout en bout, un relais précieux.

Halogénure rend visible le continent généralement inaperçu de photographes vivant leur art comme un champ d’expérimentation, d’exploration de territoires inconnus, et une manière d’intensifier leur présence au monde.

┬® Jean-Marc Chapa
© Jean-Marc Chapa

Le troisième numéro (automne 2017) est encore une fois passionnant, parce qu’il déroute, part dans toutes les directions, interroge, déplace les certitudes.

Les premières lignes de l’éditorial consacré à Anna Atkins (1799-1871), pionnière de la photographie, ne met-il pas le feu aux poudres, aux joues, au cœur, aux yeux ? « Pour rejoindre les questionnements de l’autiste Babouillec SP en prise avec le cosmos, y aurait-il autour de nous une énergie propre à transformer les êtres vivants en œuvres d’art comme il existe un langage à l’état de matériau universel ? »

Auteure en 1853 d’un Cyanotypes des plantes à fleurs et fougères d’Angleterre et d’ailleurs, Anna Atkins construit son œuvre à l’intersection de l’art et de la science.

Dans un texte inspiré, Pierre Audebert communique son enthousiasme : « La Torah nous dit que l’homme ne vaut pas mieux que la bête car tout est néant. La réalité n’a pas de valeur, elle est. Chez Anna Atkins, tout végète en un état supérieur à nos contingences et à nos petites observations. Physique et chimique redonnent substance à la Porphyra linearis ou à l’Himanthalia lorea. »

┬® Remi Guerrin
© Rémi Guerrin

Suivent un ensemble de cyanotypes par Emmanuel Ferrrand (la triperie, les parties de cartes, l’alcool, des fantasmes d’hommes), des états de corps par Sabrina Biancuzzi (les drogueries, les formules de virage, la nudité), des états de ciels, de failles, de lignes par David Jourget, des formes végétales bleuies par Irène de Groot, un voyage en Inde, en pays Tamoul, par Rémi Guerrin, « un regard sur les intérieurs-extérieurs des habitations ».

Un autre cahier est confié à Jean Fournier, cherchant à présenter des travaux alliant fond, forme et universel, soit the Primitive Acids de l’autodidacte Thomas Gosset (entre Eric Rondepierre, Francis Bacon, Jean-Michel Basquiat, l’école de Fontainebleau et le skate park) développant des sensations chamaniques que prolongent dans un entretien les propos du tireur Grégoire Oustry, fan du « warmtone semi-mat de chez Ilford », article suivi par une présentation des travaux d’Alfons Alt puisant leur nouveauté dans une grande maîtrise de l’histoire de l’art (et une énergie de survie économique permanente), ainsi que de ceux de Rafael Tanaka Monzo, qui disent en une série de vignettes floues le désir pudique et violent d’embrasser le monde dans toute sa diversité.

Enfin, le troisième pan du triptyque Halogénure trouve sa tonalité dans l’ironique incipit Tout n’est pas rose au pays des Flamands : « A leur décharge, il faut dire qu’il n’est pas facile de photographier en équilibre sur une patte. Pas étonnant qu’il y ait des flous de bougé. » (Jean Fournier)

┬® Thomas Valere Gosset
© Thomas Gosset

Plus loin : « C’est à la contemplation d’une photographie décalée, d’une photographie des failles de l’âme et du vécu, des expansions de l’esprit, des choses que l’on cache, des déviations, des fétichismes, des craquelures du réel, de l’aspiration à la solitude, du fond de sauvagerie qui nous reste désespérément chevillé au corps, et – aussi – d’une merveilleuse galerie de portraits de personnages hauts en noir et blanc, que nous convie un nouveau cahier belge, dont l’onirisme et l’immédiateté de la charge émotionnelle ne manquent pas leur cible. Une photographie qui frappe juste, fait basculer l’imaginaire, et nous offre un aller simple depuis le plat pays vers un monde foisonnant et onirique. »

Sont donc ici exposées des images trash and trans, inconcevables et sublimes, de Jean-Marc Chapa (série Fuck you) et Katlijn Blanchaert (Sauvage/Limen), accompagnées d’un texte impeccable d’Annakarin Quinto, L’épineuse question de l’image et du texte dans le livre photographique : « Si vous ressentez donc qu’il est important d’ajouter du texte à votre livre, faites-le. Mais ne soyez pas timides. Sauf si cela se justifie conceptuellement, ne réduisez pas le texte à quelques pages en fin de livre ou à un feuillet voire un booklet séparé. Si le texte est important, qu’il le soit pleinement, qu’il fasse partie intégrante du projet. En quelque sorte que le texte devienne image et l’image texte, pour accéder à une forme qui transcende les deux. »

Le travail fait par Halogénure en trois numéros est déjà considérable. Longue vie donc à cette revue de qualité, confidentielle et nécessaire, à l’époque où la vulgarité marchande tente d’imposer son ordre sur nos paupières.

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Halogénure, revue de photographie  aléatoire, automne 2017, n°3 – textes et travaux photographiques de Pierre Audebert, Anna Atkins, Emmanuel Ferrand, Sabrina Niancuzzi, David Jourget, Irène de Groot, Brigitte David, Rémi Guerrin, Jean Fournier, Thomas Gosset, Manu Jougla, Grégoire Oustry, Alfons Alt, Rafael Tanaka Monzo, Jean-Marc Chapa, Katlijn Blanchaert, Annakarin Quinto   – 1000 exemplaires

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