« Le langage plastique de la vaste aire d’influence byzantine adopte en réalité deux règles iconographiques apparentées : celle de Constantinople, à laquelle les Slaves, christianisés par les Grecs, demeurent fidèles, et celle des chrétiens orientaux, qui cherchaient d’autant plus ardemment l’autonomie religieuse et artistique que la plupart d’entre eux ne l’ont pas ou peu connu dans le domaine politique. Peintures murales, icônes, sculptures et architectures deviennent alors des marqueurs identitaires et des porteurs d’espoir. »
Les iconoclastes d’aujourd’hui ont l’ambition de faire disparaître entre Occident et Byzance, une troisième tradition du monde chrétien s’étant épanouie à partir du IVe siècle dans un espace géographique recouvrant la Géorgie, l’Arménie, la Cappadoce, la Syrie, le Liban, la Palestine, l’Egypte copte, la Nubie et l’Ethiopie.
Les chrétiens d’Orient, inclus dans la sphère d’influence byzantine, ont néanmoins développé une iconographie originale, distincte de la koinè (règle) constantinopolitaine, acceptant les influences de l’Egypte pharaonique et de la Perse.
Du Ve siècle à la Prise de Constantinople par les Turcs en 1453, ont été édifiés un très grand nombre d’églises et de monastères, presque tous détruits.
On connaît mal, voire pas du tout, l’ensemble somptueux des fresques, sculptures, icônes, objets liturgiques, manuscrits enluminés de cet Orient chrétien, sujet d’un livre de Tania Velmans (docteure en histoire de l’art, directrice de recherche honoraire au CNRS), érudit et indispensable, publié aux éditions A. et J. Picard.
Hypothèse est ici faite de l’existence d’un centre créateur à Jérusalem dont les productions auraient été largement diffusées dans les régions attenantes.
Restée proche de l’esprit des premiers chrétiens, ignorant largement les querelles doctrinales des orthodoxes, l’Eglise orientale préféra « la gloire au sacrifice et l’expression symbolique à la figuration narrative. Ainsi ils réservèrent l’abside à la Théophanie-vision qui proclamait le règne cosmique du Christ Logos. Plus tard, ils ajoutèrent à cette image le thème de l’intercession et en firent la Déisis de la fin de temps, autrement dit, du triomphe définitif du Christ. »
Composé de deux parties (des données historiques, sociales, archéologiques, théologiques, iconographiques / une analyse détaillée de décors ecclésiastiques), L’Orient chrétien est à la fois une magistrale synthèse de connaissances, par exemple sur les divers courants du christianisme primitif (les sadducéens, les pharisiens, les esséniens ; Paul le fondateur), « secte juive hétérodoxe » en expansion, et un livre de recherches inédites, en cela très enthousiasmant.
On peut s’arrêter longuement sur chaque image, porteuse d’émotions profondes : monastère du couvent Rouge, à Sohag (Egypte), ruines de l’église de Burdj id-Deruni (Syrie), Déisis de l’église du monastère Saint-Julien à Homs (détruit en 2015), l’église d’Al-Adra à Hah (Turquie), église d’Eghvard (Arménie), et tant d’autres merveilles.
Il y a un véritable lyrisme dans la liturgie et les lieux de culte des chrétiens d’Orient, doublé d’une forme de simplicité dans la foi qui touche directement le cœur.
Tania Velmans analyse les schémas récurrents de la Vierge allaitant, de la Vierge de Tendresse, et de la figure du saint cavalier, pointant des détails, rapprochant des représentations, mettant en relation sources possibles et réinventions.
Dans l’église de Sjoupi, en Géorgie, un cavalier seul aux joues rouges de chérubin, yeux de fille presque mélancoliques, enfonce sa lance dans une forme à terre effacée par le temps.
C’est extraordinaire.
Il faut alors s’arrêter, fermer les yeux et prier.
Tania Velmans, L’Orient chrétien, Art et croyances, éditions A. et J. Picard, 2017, 250 pages