
Fondateur de la maison d’édition Paris-Brest Publishing, Grégory Valton s’intéresse à la fragilité heuristique du projet artistique.
Son premier livre publié, Le Roc d’Ercé, du Québécois Thomas Bouquin est un ouvrage de peu et pourtant d’importance, un dialogue fin entre deux lieux très éloignés géographiquement, le village d’Ercé en Ariège, et Central Park à New York, que relient des destins de migration.
Auteur avec sa compagne Camille Hervouet du projet Glissé amoureux, Grégory Vaton cherche aussi à cartographier poétiquement différents instants de la relation amoureux.
Coresponsable de l’association PUI (Pratiques et Usages de l’Image), l’artiste et éditeur nantais envisage le monde des images, leur élaboration, leur production, leur diffusion, comme un partage.

Qu’est-ce que la structure Paris-Brest Publishing dont vous êtes le fondateur ? Pourquoi un tel nom ?
L’idée de départ de Paris-Brest est d’ouvrir à des photographes et des artistes un espace d’expérimentation pour éditer un projet en cours de construction ou bien peu ou jamais montré. En tant qu’artiste, le temps de la recherche, premier moment d’un projet, est un moment fait d’essais, d’explorations, un moment fragile mais peu souvent ou bien jamais montré au public. Je souhaite que les projets édités retranscrivent ces tentatives, comme si les pages du livre fixait un temps du travail et permettait une prise de recul. Le nom « Paris-Brest » vient de la somme : le livre de Tanguy Viel Paris-Brest (Éditions de Minuit – 2009), plus les lieux géographiques Paris où j’ai vécu 35 ans avant de m’installer à Nantes et Brest pour l’imaginaire que me procure cette ville de départ (sorte de Marseille de l’ouest) et enfin la course de vélo Paris-Brest-Paris (1891-1951) qui a donné sa forme de roue et son nom au gâteau le Paris-Brest (gâteau que je n’affectionne pas particulièrement).
Quel est votre programme éditorial pour les mois à venir ? Qui sont vos partenaires ? Avez-vous quelques soutiens institutionnels ?
Je souhaite monter une collection en éditant trois numéros par an suivant cette régularité : au printemps, un(e) photographe Québécois(e), l‘été un(e) photographe français(e) ou étranger(e) et à l’automne un(e) plasticien(ne) français(e) ou étranger(e). En juin 2018 sortira Notes pour un film sur Berchem-Saint-Agathe de Benoit Grimalt présentant les recherches du photographe (photos, dessins, photogrammes) pour la réalisation du film éponyme et en octobre 2018 Sans titre (titre provisoire) du plasticien Pierre-Yves Hélou autour de ses installations qui jouent sur l’équilibre. Pour le moment les éditions sont autofinancées, les mécènes sont les bienvenus et je me rapprocherai en fin d’année des institutions régionales.
Qui est Thomas Bouquin, votre premier auteur publié avec un livre intitulé Le Roc d’Ercé ? Pourquoi avoir accompagné ce titre de la mention Prologue ?
Je suis partie l’été dernier avec ma compagne Camille Hervouet qui exposait un projet durant Les rencontres internationales de la photographie en Gaspésie. Nous avons fait le tour de cette partie du Québec, visitant 24 expositions réparties sur une quinzaine de villes. Les rencontres avec les photographes québécois ont été riches, tant d’un point de vue humain que par la qualité des travaux présentés. Thomas montrait sa série Le Roc d’Ercé et ce projet a immédiatement résonné en moi. Thomas avait déjà travaillé sur la maquette d’un livre mais, nous le savons, les maisons d’éditions importantes sont peu nombreuses et les artistes doivent souvent supporter les coûts de fabrications. J’avais depuis quelque temps envie de monter une maison d’édition et j’ai proposé à Thomas d’éditer un Prologue de son projet, ce qui lui a permis de tenter un assemblage d’images et d’initier un projet éditorial qui prendra d’autres formes par la suite.

Comment avez-vous pensé conjointement la mise en page de ce beau travail reliant un village pyrénéen de l’Ariège et Central Park à New York ? Avez-vous voulu maintenir une sorte de fragilité et de monde flottant propice à la remémoration et aux apparitions ?
J’ai proposé à Thomas de voir le livre comme un espace de recherche, d’expérimenter une présentation, pour que cette publication ne soit pas un simple résumé du projet. Il a donc adapté un chapitre de sa précédente maquette, pour en créer une histoire adjacente. L’idée est d’évoquer le départ, initié par les montreurs d’ours, et de relater une odyssée depuis les montagnes jusqu’à leur arrivée à New York. On suit leur parcours pour découvrir “le Roc d’Ercé” dans Central Park, après être passé par la forêt, la rivière, l’océan et enfin la ville. Cette dynamique visuelle, faite d’allers-retours, nous a permis d’instaurer la structure et les différents motifs fondateurs de ce travail. Ainsi, ce prologue existe de façon autonome, en complément d’un projet d’édition à venir.
L’hybridation (Nantes/la Gaspésie ; Ercé/New York) n’est-elle pas chez vous de l’ordre d’une éthique ?
Il y a surtout deux projets faits de rencontres et d’histoires personnelles qui se croisent. Une histoire familiale pour Thomas entre les Pyrénées et les Etats-Unis. Pour moi, la découverte d’un territoire, et plus simplement de photographes dont j’ai tout de suite eu envie de diffuser le travail et leur permettre un espace de visibilité en France. J’espère pouvoir créer ces allers-retours avec d’autres pays.

Comment allez-vous diffuser ce livre ?
La diffusion se fait par internet et de proche en proche. C’est pourquoi j’ai souhaité tirer le livre à cent exemplaires afin que l’artiste puisse le vendre à son réseau et moi, au mien. Cela inclut également les médiathèques qui sont un espace de diffusion auquel je suis très attaché. Il sera également présent dans une ou deux librairies.
Vous exposez bientôt à l’artothèque de La Roche-sur-Yon avec Camille Hervouet Glissé amoureux. Pouvez-vous présenter ce travail ?
Depuis 2009, avec la photographe Camille Hervouet, nous menons le projet Glissé amoureux où nous mêlons nos approches artistiques pour explorer les signes et les incarnations du sentiment amoureux. C’est un travail protéiforme regroupant des photographies de paysage et de mise en scène du couple, des vidéos, des collectes de photographies amateurs et de plantes… C’est un projet que nous menons lors de temps de résidences et qui a récemment pris la forme d’une édition, que nous avons envisagée comme un nouvel espace d’accrochage pour nos images. Ce projet nous a aussi permis d’aborder des médiums nouveaux dans nos pratiques et ainsi de nourrir nos recherches respectives.
Vous semblez très attentif à la double question de la mémoire et de l’espace. Outre le bon fonctionnement de votre maison d’édition, quels sont vos travaux personnels en cours ?
Glissé amoureux, qui questionne aussi la façon dont les espaces influent sur les personnes et leurs états, suit son cours et prend de nouvelles formes. Quant à mes recherches personnelles, la double notion de mémoire familiale et de territoire familier est fondatrice. Aussi, après avoir terminé le projet Ce qui se repose (2008-2015) autour de la disparition de ma mère (disparition d’un corps), j’ai commencé Nos châteaux en Écosse l’année dernière, sur mon grand-père paternel. Depuis tout petit, j’entends parler de nos ancêtres écossais de sang royal. Sans attaches concrètes avec ce pays, j’ai grandi avec cet imaginaire, entretenu par mon grand-père. Je ne sais pas si ces racines sont réelles ou purement fictives, mais ayant une fille de cinq ans, la question de la transmission se pose. Délaissant la photographie, j’utilise une forme orale et performative et les archives, les documents, les objets, me servent à interroger des faits avec lesquels nous grandissons, et nous vivons.

Vous êtes responsable de l’association nantaise PUI, Pratiques et Usages de l’Image. De quoi s’agit-il ?
Alors, je ne suis pas responsable de l’association PUI car nous sommes sept membres fondateurs et fonctionnons de façon collégiale. Ce qui nous a réunit, notre postulat de départ, est une question simple : comment on se débrouille les uns et les autres avec l’image, comment elle nous travaille, comment on la travaille, d’où cet intitulé Pratiques et Usages de l’Image. Nous souhaitons aborder la photographie d’une autre manière que par sa représentation habituelle, par des angles différents, divergents ou complémentaires de ce qui existe déjà à Nantes. Avant tout PUI, c’est une bonne excuse pour inviter, faire venir et parler des personnes que nous avons envie d’écouter et que nous n’aurions peut-être pas la possibilité de rencontrer autrement… Nous partageons avec le public nos questions, nos pensées, nos réflexions, nos idées sur l’image à partir d’un échange avec les artistes, archivistes, photographes, écrivains, amateurs, éditeurs, iconographes, paysagistes,… que nous recevons. Il y a neuf rencontres par an suivant trois thématiques que nous définissons, pour nous donner un cadre. Créé en avril 2015, nous recevrons notre 27ème invité à la fin du mois. Pour les mois de janvier-février-mars 2018, la thématique est « Image comme objet de recherche » avec l’artiste Gilles Bruni (janvier), l’écrivain François Bon (février) et la plasticienne Constance Nouvel (mars). Chaque rencontre dure 1h30 environ et est filmée. Nous faisons un montage d’une vingtaine de minutes, qui est mis en ligne sur notre site internet www.lespui.eu L’ensemble des rencontres est ainsi archivée et consultable par tous.
Pourquoi une telle ferveur envers le monde des images ?
Adolescent, je n’avais aucune attirance pour la photo, préférant la littérature, la musique, la peinture. J’y suis venu par hasard vers vingt ans, n’ayant pas trop d’avenir dans d’autres domaines. Ma mère disparaît à ce moment là, donc la photographie est devenue un moyen de faire le deuil, un peu malgré moi. Les voyages, les projets, les livres ne font qu’augmenter cette soif de partage, car pour moi, le fond est là, dans la circulation des images et les rencontres qui y sont liées… La ferveur vient aussi de la remise en question de mon travail, d’être bousculé, de tenter de nouvelles choses, d’explorer de nouvelles formes, de rendre vivant ce que je produis.
Propos recueillis par Fabien Ribery
Thomas Bouquin, Le Roc d’Ercé, Prologue, Paris-Brest Publishing, 2018 – cent exemplaires
Découvrir Paris-Brest Publishing
Glissé amoureux – exposition Camille Hervouet et Grégory Valton, à l’artothèque de la Roche-sur-Yon, du 21 mars au 21 avril 2018