
Un livre dont le colophon est sur la tranche, jusque l’ISBN et les remerciements, n’est pas fréquent.
Ainsi se présente TTP, d’Hayahisa Tomiyasu, gagnant du First Book Award 2018, dont le court texte de présentation est en quatrième de couverture. Pour le reste, pas de glose, place aux images.
En apparence, le dispositif est simple : une table de ping-pong cadrée sur plusieurs saisons, en plongée, dans un parc de Leipzig.
L’ambition pourrait n’être que formaliste, mais cette table de divertissement s’avère sous le regard attentif du photographe bien plus qu’un équipement de sport, un lieu de rencontre, de repos, d’échanges de toutes sortes.


Le petit point se développe, c’est un microcosme autour duquel la société entière semble s’être donné rendez-vous.
Sur la table de ping-pong, on s’y allonge pour lire.
On s’y étire après un footing.
On y téléphone, s’y dispute, y pose ses affaires, les gobelets d’un pique-nique, un sac à dos, des pulls, des bouteilles.

Des enfants la gravissent, d’autres en font un plateau de danse.
La neige la recouvre, le soleil la frappe, alors qu’on y lance toutes sortes d’objets : une flèche, un frisbee, une balle.
Passe le pigeon du Saint-Esprit.
La table est fixe, et c’est un astre autour duquel gravite la petite race humaine.

La tonalité est élégiaque, nous sommes en automne, il faut attendre un peu avant que l’homme ne retrouve le chemin de ses extravagances.
Car le parallélépipède est une structure appelant les gestes et les postures les plus saugrenus, puisqu’il est dit depuis Pascal que le malheur de l’homme est de ne pouvoir rester seul bien longtemps dans sa chambre, et de gigoter comme un dément.
Donnez-moi une table, un parc, et je vous offre un monde.
Tel est le royaume de Hayahisa Tomiyasu, fait d’infinies variations autour d’un même motif.
A présent, regardez sous la table, la neige n’a pas tout à fait fondu, l’herbe y est erratique, et la terre battue impitoyable à toute végétation.
Parfois la table se déplace, se décale. C’est une anomalie, vite corrigée, avant que l’ordre des organes ne retrouve ses droits.

Il y a des chiens, un vélo, un avion miniature, un bébé.
La pluie tombe à seaux, et voici soudain la table qui prend le large, telle une arche de Noé verte voguant sur les flots.
Mais quelqu’un a vu la caméra voyeuse, la pointe du doigt, il est temps de prendre la poudre d’escampette.
Tout est vrai, tout est faux, quand arrive une grue policière.
On reprend tout depuis le début, c’est l’heure de la méditation.
Ça tombe bien, TTP est fait pour ça.
Hayahisa Tomiyasu, TTP, MACK (London), 2018