memymom – moi et ma maman – est un projet artistique au long cours mené par Marilène Coolens (née en 1953) et sa fille, Lisa De Boeck (née en 1985), modèle photo pour sa mère depuis ses cinq ans jusqu’à aujourd’hui.
Toutes les deux vivent à Bruxelles et sont photographes, mais ce qui se joue dans les échanges de regard et les mises en scène proposées est de l’ordre d’un trouble profond : qui est qui ? La mère est-elle la fille ? La fille devient-elle la mère au fur et à mesure du temps et des rapprochements physiques inexorables s’opérant entre des membres si proches de la même famille ?
Qui donne à qui ? Qui dévore qui ? Qui se transforme en qui ?
Il est difficile d’être une mère, il est difficile d’être une fille, alors autant jouer ensemble aux rapports de séduction, de pouvoir, de transmission.
De 1990 à 2003, sous le titre très évocateur The Umbilical Vein, Lisa est une petite fille mimant pour sa mère des scènes idéales pour l’imaginaire d’une enfant, petite star de cinéma se maquillant dans la salle de bain ou posant comme un top model. On peut penser à Eva Ionesco et sa mère, mais juste un peu.
La fillette est redoutable, se glissant avec la plus grande innocence dans des rôles trop grands pour elle, qui les incarne pourtant parfaitement.
La deuxième étape de ce travail mère-fille concerne le début de l’âge adulte. Il s’intitule The digital decade (2010-2015), passage symbolique de l’ère de l’argentique à celle du numérique. La poitrine s’est développée, l’enfant est devenue une sublime tentatrice, gardant contre son corps un ours en peluche protecteur.
Il y a ici de la mélancolie, des envies de fête, du baby blues, des égarements.
Une femme se cherche.
Entre la maman et la putain, il ne faut pas choisir.
La dernière série est appelée Somewhere under the rainbow (2016-ongoing), et convoque un imaginaire plus directement cinématographique, passant de Sue perdue dans Manhattan (Amos Kollek) à quelque chose comme Lost highway (David Lynch).
Dans le transfert des corps de la Belgique à la Californie, il y a un déplacement vers un territoire déréalisant, créateur de fictions en séries, et source de fantasmes pour la planète entière.
Avec beaucoup d’humour, Lisa De Boeck continue à jouer ici ou là les clowns sexy, mais aussi les filles lunaires, et terriblement sûres d’elles.
L’art recompose les identités, envoie dinguer la lourdeur des assignations sociales, s’amuse de nos places respectives.
L’intime est à la fois exposé et voilé, pris dans une sarabande de formes et de costumes permettant de se rêver autre tout en continuant à (ne pas) être soi-même.
memymom est une structure hybride, un vaisseau ludique pour traverser le temps sans s’appesantir sur la dégradation inéluctable du corps, un hommage à Mnémosyne, muse de toutes les muses, femme mémoire produisant des vestales à sa gloire, et des jolies filles libres, audacieuses, sexuées, pour qui l’art se doit d’avoir le dernier mot sur la vie.
Lisa De Boeck & Marilène Coolens, memymom, textes de Jo Coucke & Kurt Snoekx, traduction anglaise Ted Alkins & John Arblaster, éditions Ludion (Anvers, Belgique), 2018
Exposition memymom du 22 septembre 2018 au 20 janvier 2019, au Musée de la Photographie (Charleroi, Belgique)