
Tine et Marc Verstraete, propriétaires du vignoble Château Castigno, situé à Assignan, dans l’Hérault, ont demandé à trois artistes de grand talent (sur proposition de Gilles Coulon, du collectif Tendance floue), Stéphane Lavoué, Bertrand Meunier et Patrick Tournebœuf, de photographier leur domaine, à l’occasion de l’édification d’une nouvelle cave dessinée par l’architecte Lionel Jadot – livre La Tribu chez Filigranes Editions.
Objet de forme voluptueuse planté au cœur des ceps, « à la fois outil de travail à la pointe de la technologie et véritable sculpture de Land Art » (Magali Jauffret), cette cave est une arche horizontale prête à l’envol, une chambre noire où accueillir du temps et de la maturation.
Au cas où, on pourra toujours se saouler dans l’atmosphère.
En grand format vertical très élégant, Tribu expose trois esthétiques différentes, entrelaçant les images, les écorces, les bois de chacun.
En couleur et ciels vastes, Patrick Tournebœuf s’intéresse à l’inscription de la nouvelle cave dans le paysage, documentant de façon impeccable, en quelques étapes clés, la construction d’un bâtiment à nul autre pareil. Une géométrie singulière pour un vaisseau inédit.

Comme dans le somptueux The Kingdom (éditions 77, 2017), Stéphane Lavoué fait le portrait des membres d’un clan semblant surgir de l’aube de l’humanité.
Nous sommes ici dans un conte noir, étrange et sauvage.
Ses personnages ne sont pas de simples travailleurs, ce sont les prêtres secrets d’une religion primitive.
Ses vignerons, ses paysans, sont des sacrificateurs souverains, des coupeurs de têtes se régalant de hures grillées.
Dehors, le ciel est d’épouvante, le sang va couler.
Les femmes de Stéphane Lavoué – l’une est couverte de boue séchée, une autre est enroulée dans une peau de vache, nue peut-être – sont des survivantes, détentrices d’un savoir venu du fond des âges, intransmissible aux gens des villes.
Ça gicle, ça tache, ça exauce, ça tue. Le silence venant après les cris est profond, intense et de stupeur.
La lame qu’érige un boucher en prière a la beauté d’Excalibur, c’est en ces terres où le vin est sacré l’instrument suprême d’une loi non écrite. Du fer dans un bout de chair, de la vie et du néant.
Les noirs sont profonds, les couleurs d’une héraldique médiévale.
A Assignan, Stéphane Lavoué ne répond pas à une commande, trop occupé à touiller dans le chaudron de ses désirs, ce qui est courageux, ce qui est remarquable, ce qui est non négociable.

Maintenant, place à la fraternité, aux échanges apaisés, aux oiseaux, aux baisers.
Bertrand Meunier, dessinant la campagne au fusain de l’objectif, photographie en noir & blanc des sillons, des sillages, des torses nus et des chevaux, puisqu’ici les équidés participent d’un respect général entre tous les êtres vivants et la nature qui les nourrit.
Ses personnages sont de roc et tendresse, modelés par la terre qui les fait vivre.

Du vent dans les broussailles, du vent des les cheveux, du vent dans les bouches quand les langues se touchent.
Avec Berrtand Meunier, on prend le temps de s’aimer, de s’apprécier, de s’interroger ensemble.
La ruralité qu’il rencontre est de toujours, c’est un berceau, est de demain, c’est une utopie.
Loin de n’être qu’un livre de circonstance, Tribu est un hymne, à l’ordre sacré (Patrick Tournebœuf), au paganisme (Stéphane Lavoué), à la prose poétique du vivant (Bertrand Meunier).
Stéphane Lavoué, Bertrand Meunier, Patrick Tournebœuf, Tribu, Une aventure photographique à Assignan, texte de Magali Jauffret, Filigranes Editions, 2018
