
Voilà, c’est fini, tout peut recommencer.
Le voyage prend fin à la lettre T, il peut se rêver ailleurs, autrement.
Sixième volume de la série AZIMUT (lire dans L’Intervalle mes cinq autres articles), ce dernier tome regroupe les travaux photographiques d’Olivier Culmann, Laure Flammarion & Nour Sabbagh, Bertrand Desprez, Julien Mignot et Thierry Ardouin.
Le premier marcheur était parti de Montreuil un matin d’hiver 2017, l’ultime pérégrin arrive à destination (y en a-t-il d’ailleurs une, hors l’exploration en tous sens d’une carte mentale construite tel un work in progress ?) au milieu de l’automne de la même année, à l’Hôpital-Saint-Blaise, micro-village situé à la lisière du Béarn et du Pays basque.
L’historien Marc Bloch faisait ce constat dans les années trente : « Un trait, entre tous distinctif, oppose la civilisation contemporaine à celles qui l’ont précédée : la vitesse. La métamorphose s’est produite en l’espace d’une génération. »
Les photographes du collectif Tendance floue quant à eux ont voulu s’accorder le temps de retrouver un territoire en voie de disparition, d’ouvrir de nouveaux horizons, de reprendre contact avec eux-mêmes, avec les autres, avec le paysage, avec l’inattendu.

Olivier Culmann s’interroge : « Sommes-nous photographes ? [on se souvient peut-être du volume Sommes-nous ? publié en 2006 avec un texte de Jean Baudrillard] Auteurs ? Marcheurs ? Mateurs ? Artistes ? Sportifs ? Touristes ? Oisifs ? Héros ? Bons à rien ? Escrocs ? Magiciens ? Interprètes ? Prédateurs ? Poètes ? Observateurs ? Libres ? Chasseurs ? Ivres ? Transformateurs ? Voyeurs ? Amateurs ? Voleurs ? Menteurs ? Totalement Flous ? Complètement Fous ? »
Le photographe crée ici un patchwork de routes, plus ou moins rectilignes, courbes ou abandonnées à la façon d’un jeu d’assemblage (penser au Dorica Castra tel qu’exploré par Mathieu Pernot – livre chez Filigranes Editions, 2017), un puzzle de « vues » (des bâtisses isolées, désolées), de « nuées » (des ciels), de « nues » (des arbres fendus, des racines, des trous dans les écorces), des « nuitées » (des lits, généralement un seul oreiller), des « nutri » (des plats, de la viande, des frites, un peu de salade).
L’impression générale est celle d’une grande solitude, de la fin d’une civilisation abîmée dans la marchandise dépourvue de tout esprit, le purement fonctionnel.
Malgré tout, il faut remercier : « Gracias a la vida ».

Sur leur route Laure Flammarion & Nour Sabbagh ramassent des fleurs, botanisent, s’enchantent de peu, de beaucoup, d’un tas de bûches, d’une porte en fer barrant une grange, d’un jardin ouvrier, d’une cabane.
Les deux complices cherchent quelques-uns, quelqu’un, ne rencontrent personne, ou presque.
Là des enfants jouent (54 photogrammes), ici, sur la place du village, on attend le boulanger (52 photogrammes).
Il ne se passe pas grand-chose, et pourtant Agnès Varda pourrait finir par arriver avec JR, il faut se tenir prêts.

Bernard Desprez s’en fiche de JR, il préfère la danse en solitaire avec les arbres, les pitreries au bord d’un ruisseau, la trouée d’une lumière douce et fabuleuse.
Le peuple qu’il rencontre est facétieux, enfantin, joueur, parfaitement inséré dans une nature le rendant heureux.
Ici, tout est mouvement, noir & blanc et couleur, cabrioles, ramping sur les feuilles tombées, ondulations.
François, 88 ans, est aussi vieux que son pommier, il marche avec un bâton, mais, s’il le faut, le donne à l’étranger Tendance filou.
Avec ses images à la Petersen, son travail sur la pellicule et les lumières façon Hallogénure, Julien Mignon fait de son voyage un moment underground, rock, ivre.
Ce gars-là ne craint pas le péché, les rencontres de la nuit, les belles inconnues.
Ses images sont des moments de vie brute, des instantanés d’intensité.
Autres voluptés avec Thierry Ardouin et ses sept empreintes cyanotypo- photographiques d’ « éléments du règne végétal, animal ou minéral », trouvés le long de son chemin : des crocus, une bogue de châtaigne, un petit lézard, une fleur de pissenlit, une feuille de fougère…

Les images sont d’un bleu paradisiaque, ce sont des astres de Renaissance, des planètes où ne pas craindre de se perdre, des raretés pour happy few stendhaliens.
Voilà Azimut, ce sont des traces, des textes, des gestes, des envies d’être libre, des expériences, des doutes, des exaltations, des peurs, des douleurs. La solidarité d’un collectif. Du pleinement vivant dans la mort qui, un peu partout, renforce son pouvoir.
A comme Zimut.
Z comme Igzag.
I comme Maginaire.
M comme Agie.
U comme Topie.
T comme Race.
T, par AZIMUT – Olivier Culmann, Laure Flammarion & Nour Sabbagh, Bertrand Desprez, Julien Mignot, Thierry Ardouin -, textes de Cécile Cazenave et Héloîse Conésa, 2018, volume 6 (300 exemplaires numérotés)
Bravo à Justine Fournier pour la conception graphique de cette série
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