Tunisie, seuls ensemble, par Kamel Moussa, photographe

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© Kamel Moussa

Rester ou partir. Continuer la révolution ici ou là-bas. Trahir ou être fidèle. S’obstiner à l’étranger ou revenir au pays.

En Tunisie, en 2011, un espoir est né, celui d’une société émancipée, égalitaire, plus juste.
Mais le temps des désillusions, des petits trafics de survie et des grandes solitudes, est vite réapparu.

Kamel Moussa, photographe tunisien indépendant vivant désormais entre la France et la Belgique, a cherché à comprendre les jeunes de son pays, faisant le chemin à rebours, franchissant de nouveau la Méditerranée, s’interrogeant sur l’avenir contrarié de sa terre natale.

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© Kamel Moussa

« Des années se sont écoulées depuis mon départ vers l’Europe, mais à chaque fois que je reviens dans mon pays natal je me pose la même question : que serais-je devenu si j’étais resté ici ? »

Le photographe a conçu Equilibre instable comme un hommage aux jeunes de son pays. C’est un livre de portraits, de corps généralement isolés, ou seuls ensemble, de visages inquiets.

Des territoires à l’abandon, des êtres abandonnés, des chaussées défoncées.

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© Kamel Moussa

Sous l’objectif de Kamel Moussa, des jeunes adultes debout ou couchés attendent, se questionnent, se rongent les sangs.

Où aller ? Que faire ? Que sera demain ? Où s’aimer ? Quand pourra-t-on enfin rêver de nouveau ?

Certains marchent, d’autres s’allongent sur le sable du littoral, font de la nuit leur meilleur allié.

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© Kamel Moussa

On se cogne aux murs de parpaings, aux murs de la mer, aux forces de l’ordre, à la matraque de la réalité, au sexe solitaire.

L’eau bleu gris frappe les rochers, elle tonne de façon assourdissante.

A quoi servent la beauté, la puissance, la jeunesse qui restent sans emploi ?

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© Kamel Moussa

N’y a-t-il rien de plus désirable qu’un destin de prolétaire soumis à l’exploitation interminable ?

Beaucoup regardent le regardeur, l’autre, mais il n’y a pas ici de systématisme, ni de mode d’emploi dans la façon d’être lorsque l’on est pour une fois vraiment considéré.

Il a parfois été possible de réussir la traversée, avant que d’être reflué.

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© Kamel Moussa

« Nombreux sont les Tunisiens qui sont expulsés d’Europe. Le retour est parfois plus dur que l’aller. Humiliés et rejetés, pointés du doigt par leur entourage, ils sont considérés comme des ratés.

J’ai proposé à certains d’entre eux de retourner sur les lieux mêmes de leur départ vers Lampedusa. Dos à la mer, ils me racontent leurs désillusions. Leurs paroles résonnent comme un cri : récits intimes qu’ils livrent souvent pour la première fois, histoires enterrées qui ressurgissent à la vue de ce lieu maudit, point de départ de leur calvaire. »

Amine, 23 ans, raconte : « A Paris j’ai rencontré une femme, Elodie. On est resté ensemble pendant cinq mois. J’ai fait des conneries, j’ai dealé, j’ai fait de la taule. Pendant que j’étais en prison, elle m’a appelé pour me dire qu’elle était enceinte et qu’elle ne comptait pas garder contact avec moi, ni même me laisser voir notre enfant. A ma sortie de prison, on m’a directement expulsé vers la Tunisie. J’ai crié, j’ai pleuré, personne n’a voulu m’entendre. En Tunisie, j’ai passé un an dans un hôpital psychiatrique, je ne vais toujours pas bien. Je n’aurais pas dû aller dans cet endroit, c’est là qu’a commencé ma descente, mon calvaire. »

Chahredine, 19 ans : « Mon idée était de partir avec mon meilleur ami dans un pays lointain pour fuir un quotidien qu’on subissait. Après deux ans passés à Paris, je me suis rendu compte que je n’étais pas à ma place dans cette ville. Quand la police française m’a contrôlé dans la rue, je n’ai même pas essayé de résister. Au fond de moi, j’étais content qu’on me ramène en Tunisie. »

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© Kamel Moussa

Apparaissent des femmes, belles, très simples, rêveuses, tristes, décidées, pauvres, voilées ou non.

« Kamel Moussa, écrit en préface Jean-Marc Bodson en postface, est de cette génération de photographes qui ont compris qu’à l’heure du tsunami visuel la difficulté n’est pas de produire des images, mais d’éviter celles toutes faites qui s’imposent à la prise de vue. »

Dans son regard, la Tunisie est un cheval au galop à l’arrêt, superbe et maigre.

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© Kamel Moussa

Kamel Moussa, Equilibre instable, textes de Kamel Moussa et Jean-Marc Bodson, Le Bec en l’air/ARP2 Publishing, 2019, 98 pages

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