Une femme vers la liberté, par Olivier Cornil, fils et photographe

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© Olivier Cornil

Professeur d’atelier à l’ESA Saint-Luc Liège, école supérieure de photographie, Olivier Cornil est aussi photographe anecdotier, bidouilleur passionné, adepte de la lenteur et des surprises révélées au tirage.

On peut découvrir son travail dans le livre et l’exposition éponyme Dans mon jardin les fleurs dansent (Les éditions du Caïd), qui un hommage, un portrait amoureux de sa mère, mais aussi à travers elles de toutes les mères, de toutes les femmes parvenant un jour à s’émanciper, à prendre leur destin en main.

L’histoire en cours racontée ici avec grâce se déroule en Corrèze, sur le plateau de Millevaches, dans la rudesse et la simplicité d’un environnement refusant les jeux de masques.

Cofondateur de L’image sans nom, lieu pour les livres et la photographie à Liège, Olivier Cornil privilégie dans sa pratique artistique et sa vie la liberté.

Elle a un prix, mais lui permet d’emprunter des chemins nouveaux, approfondissant son rapport au monde.

Nous avons conversé à propos de son œuvre, et des nécessités qui la fécondent.

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© Olivier Cornil

Vous vous présentez sur votre « beau site » (sic) comme « anecdotier ». Que comprendre ? Quels sont les autres mots clefs permettant de vous présenter ?

Un anecdotier est une personne qui raconte ou recueille des anecdotes. C’est ce que je fais, à travers chacune de mes photographies. Ils arrive que certaines d’entre elles, mises bout à bout, assemblées, deviennent des histoires. Ici ou là, je récolte et je tente de raconter des histoires.

Artisan, adepte de la lenteur. Humain et optimiste. Curieux et passionné, bidouilleur, autodidacte, touche à tout. Je tente, j’essaye, je m’amuse. Je réalise des tirages photographiques, j’ai mis en page et imprimé en jet d’encre mes premiers livres, je suis professeur d’atelier dans une école supérieure de photographie (ESA Saint-Luc Liège), activité récente qui me plait beaucoup et dans laquelle je m’emploie à transmettre.

Le titre de votre livre, Dans mon jardin les fleurs dansent, est-il volontairement naïf, ou ironique, ou même ésotérique ?

Plus naïf qu’ésotérique, certainement pas ironique. J’ai longtemps cherché un titre qui me satisfasse pour cette série. Qui parle de l’ancrage, de l’intime et qui contienne l’idée d’un mieux, un côté presque solaire.

Dans les maisons de ma mère, je suis un jour tombé sur un cadre qui y avait été ajouté lorsque sa belle-mère y a emménagé. Une broderie simple au point de croix. Au centre d’un cercle de fleurs était écrite cette phrase : « Dans mon jardin les fleurs dansent. » J’ai choisi de l’emprunter comme titre pour cette série, tant elle me semblait coller avec mes envies, avec ce qu’est ma mère. Simplicité, naïveté sans doute, populaire. Cette broderie accompagne le livre et l’exposition.

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© Olivier Cornil

Ce livre est-il un portrait amoureux de votre mère et d’une femme traversant le temps ?

De ma mère mais aussi des mères, d’une femme mais aussi des femmes. Cette histoire est bien évidemment particulière mais elle me semble assez simple, voire banale, pour qu’elle puisse tendre vers une certaine universalité. Beaucoup de personnes y lisent des passages de leur enfance, de l’histoire de leur famille.

Par ce portrait, mais plus encore cet hommage, j’avais envie de raconter la beauté de la force, de la résilience. Il y a dans cette histoire un virage, quand ma mère décide de rester en Corrèze après le décès de son second mari. Je pense que c’est le premier vrai choix de sa vie : celui à partir duquel elle décide de vivre pour elle-même. Ce n’est plus un choix d’épouse ou de mère, c’est un choix de femme. À partir de là, sa vie change réellement.

L’histoire implique la traversée du temps également. Ce n’est plus une anecdote. C’est une vie, pas terminée. L’histoire est toujours en suspens. On n’en connait pas la fin…

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© Olivier Cornil

Votre travail au long cours sur le territoire corrézien vous permet-il de mieux comprendre le génie de ce lieu ?

Je ne peux parler que de ce coin que je connais : un morceau du plateau de Millevaches. 700 mètres d’altitude, une forme de rudesse. S’il existe un génie en ce lieu, c’est pour moi celui de la simplicité. C’est une région pauvre et, quand on l’observe, on se rend compte qu’elle l’a plus ou moins toujours été. Son architecture, par exemple, en atteste : des églises romanes et trapues, quelques moulins, peu de châteaux ou de bâtisses anciennes remarquables. C’est ce que j’aime y trouver, la simplicité. Ici, la nature, peu de touristes, des paysages, des arbres.

C’est aussi une région qui se vide. La plupart des amis de ma mère là-bas sont des personnes qui sont venues y vivre sur le tard, souvent par un ancien lien familial ou un héritage. Il n’y a pas beaucoup d’emplois disponibles, on y est vite « isolé ». De la ville, de la culture, par exemple. J’aime beaucoup y aller en tant que vacancier mais je ne pourrais pas y vivre.

Comment avez-vous construit votre livre ? Quels ont été vos choix formels indiscutables?

J’ai collaboré avec Matthieu Litt, photographe et graphiste. Nous vivons dans la même ville, avons des projets en commun, tels le Liège Photobook Festival et depuis peu L’image sans nom. J’ai beaucoup auparavant travaillé seul à la mise en page et j’avais besoin cette fois-ci d’une fraîcheur dans la manière d’aborder le travail et le livre. J’ai laissé beaucoup de liberté à Matthieu en ce qui concerne la place des images et des recadrages éventuels pour obtenir des pleines pages à partir du 6×6, qui est le format de toutes mes images. À partir de là, et avec un très grand respect, Matthieu est arrivé avec cette maquette et par exemple l’idée du double format, qui permet de structurer le travail entre images d’archives et textes d’une part, photographies personnelles d’autre part. Ceci cependant sans systématisme. La grille de mise en page est présente mais souple, le petit format crée des associations d’images particulières avec le plus grand format. J’avais aussi envie d’intégrer le peu d’objets qui me paraissaient importants dans la narration et il a accepté de disséminer des bouts de lunettes et de broderie tout au long du livre.

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© Olivier Cornil

Comment votre famille réagit-elle à la découverte de votre ouvrage ? Ne trouve-t-elle pas parfois sacrilège ou impudique le déploiement d’archives intimes ? Votre livre a-t-il permis des paroles nouvelles ? L’avez-vous aussi conçu pour présenter votre mère à vos enfants ?

Les personnes proches s’y retrouvent pleinement. Même mon père. Mon ton est juste, je pense. Parfois dur, mais juste. J’ai beaucoup travaillé le texte. Je résume une histoire de 65 ans en cinq pages : je n’avais aucune envie de me perdre dans des détails inutiles. Je pense que c’est aussi une raison qui fait que le public, ou les lecteurs pour le livre, puisse s’approprier cette histoire. Elle est personnelle, voire intime, mais pas trop précise ou descriptive.

Concernant ma mère, plus spécifiquement, il me semble que ce travail lui est agréable. Il met en lumière une réussite qui est la sienne, un lien (le nôtre) qui est fort. Il donne corps et sens, mais aussi simplement douceur et reconnaissance. La parole, quant à elle, a été posée en amont : j’ai passé une semaine chez ma mère dans l’unique but de l’interroger sur son histoire, et nous avons parlé chaque jour. Tout a été dit à ce moment, il y a bientôt trois ans. Le reste était mon travail et ma vision, à travers le prisme de cette histoire racontée. Je n’ai montré le résultat qu’une fois terminé et chacun s’y est retrouvé.

Ceci dit, il me faut mentionner une des sœurs de mon père, dans un cercle familial plus large, qui trouvait les textes envers lui et sa famille injustes et violents : elle m’a écrit un mail incendiaire. Par acquis de conscience, j’ai demandé l’avis d’autres membres de cette même famille qui m’ont rassuré et certifié que le travail ne les avait pas blessé. Ce qui prouve que chacun lit et regarde selon son sentiment ; qu’une telle histoire, ou en tout cas la version que j’en donne, ne peut peut-être pas contenter tout le monde…

Et concernant mes enfants, ils connaissent bien leur grand-mère et sont encore trop jeunes pour comprendre la portée des textes et la réalité de l’histoire. Par contre, ce qui m’a beaucoup plu, c’est qu’eux regardent ce livre comme un album photo familial : ils en identifient les lieux, les personnages et les moments. Exactement comme les albums que je possède de mon enfance. J’aime cette idée… Ceci dit, lorsqu’elle ne sera plus là, le livre lui continuera de leur raconter son histoire.

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© Olivier Cornil

Dans mon jardin les fleurs dansent prend-il à vos yeux une valeur d’initiation ? Est-ce un pont créé entre la Belgique et la France pour tenter d’abolir la distance et la séparation ?

Non. Ni initiation, ni pont. La distance est incompressible. La séparation est réelle. C’est un hommage, simplement. Une envie de dire et de raconter. Une histoire.

Comment vit-on à Bugeat ? La nature vous y apparaît-elle d’abord comme bienfaisante ou menaçante ?

Bienfaisante toujours, sans doute parce que je n’y reste jamais très longtemps. Mais aussi, même si nous sommes dans une région plus « sauvage » que beaucoup d’autres en Europe, ce n’est pas non plus le grand Nord américain. L’isolement peut être, je pense, violent dans ce genre de région, mais la nature je ne crois pas…

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© Olivier Cornil

Pourquoi avoir essentiellement privilégié l’été pour vos prises de vue ? Parce que vous venez surtout en Corrèze lors de vos vacances ?

Il est certain que beaucoup des photographies ont été réalisées l’été. Parce qu’en effet j’y viens lors des vacances. Mais j’y suis venu à toutes les autres saisons, et à de très nombreuses reprises en hiver, au mois de décembre. La lumière y est particulière et certaines images qui peuvent être attribuées à des lumières d’été sont en fait de très belles journées d’hiver.

Le symbole des lunettes cassées en couverture de votre livre anticipe-t-il la disparition inéluctable de votre mère ? Tentez-vous par la construction de votre ouvrage jaune de célébrer la vie et le peu par-delà la mort qui vient ?

Ces lunettes évoquent évidemment le disparition, mais elles sont plus liées au décès du second mari de Maman. Ça a été un événement très violent pour moi, et pour elle aussi, bien sûr. Mais surtout, elles symbolisent pour moi, comme je l’évoquais plus haut, un virage dans sa vie. De la violence de cette mort et du choix qui en découle surgit la beauté d’une suite heureuse.

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© Olivier Cornil

Pourquoi êtes-vous parti vivre à Liège en famille ? Est-ce suite à votre nomination comme professeur à l’école d’art Saint-Luc ? Comment comprenez-vous cette ville ?

Avant de partir pour Liège, nous nous sommes beaucoup investis dans un habitat groupé.

Nous vivions à Bruxelles et nous avons pendant près de trois ans cherché un endroit où fonder ce projet. Nous l’avons trouvé : une magnifique ferme jouxtant un terrain d’un hectare. Nous y avons planté un verger, des haies, des potagers. Nous avons discuté des heures et des jours. Personnellement, j’y ai investi énormément. Nous y avons vécu cinq ans. Mais des énergies internes au groupe ont eu raison de nos envies et de nos espoirs : le projet s’est sabordé. Il nous fallait en famille trouver un nouveau lieu où se projeter.

Nous avons choisi Liège : la ville me tentait et nous nous rapprochions alors de la famille de Charlotte, mon épouse. Deux mois après avoir fait ce choix, j’ai postulé à Saint-Luc et j’y ai trouvé une place. J’ai ensuite proposé à Emmanuel d’Autreppe de partager le lieu qu’il louait et nous avons créé L’image sans nom. Charlotte y a trouvé un emploi. Les enfants se sont tout de suite très bien intégrés dans leur école.

Liège est une ville dynamique, vivante. Et surtout accueillante. Ses habitants sont très chaleureux. Nous nous sentons chez nous : après avoir loué une maison pendant un an et demi, nous cherchons à y acheter…

Que cherchez-vous essentiellement à enseigner à vos étudiants ?

La curiosité et l’envie. De composer, de raconter, de faire. D’oser, d’expérimenter.

Vous êtes donc fondateur avec Emmanuel d’Autreppe de L’image sans nom. Pouvez-vous présenter ce lieu ?

Manu (Emmanuel) a une très belle collection de livres de photographie et d’art. Quatre à cinq mille titres. Avant que je n’arrive à Liège, et suite à la fin d’un autre projet, il louait le lieu (très beau) de L’image sans nom pour les stocker, faute de temps et d’énergie pour le développer autrement.

Je cherchais de mon côté, et dès mon installation, un atelier : j’ai des imprimantes et du papier, je réalise des tirages jet d’encre et ai besoin d’un lieu hors de la maison familiale pour travailler. Je lui ai proposé de partager L’image sans nom et nous avons décidé de faire vivre le lieu : un lieu pour les livres et la photographie.

Depuis un an, nous organisons des expositions, l’actuelle est la cinquième et présente le résultat de « Bring your photobook », concours organisé par le Liège Photobook Festival, qui se tient lors de la Biennale de l’image possible, Biennale de photographie à Liège. Ce festival est organisé par Christophe Collas et Matthieu Litt (cité plus haut). Et moi également, pour la dernière édition. Christophe et Matthieu nous ont rejoint depuis peu pour la gestion et la programmation de L’image sans nom : un regroupement de forces vives…

Quels liens entre l’univers visuel du groupe Girls in Hawaï que vous contribuez à construire et votre livre ?

Je ne travaille plus avec Girls in Hawaii depuis six ans. J’ai réalisé tous leurs visuels pendant dix ans, des débuts au premier clip du premier album. J’ai décidé d’arrêter cette collaboration lorsqu’après dix ans de collaboration proche et de liberté quant aux visuels j’ai senti que cette liberté disparaissait. Et que de ce fait des tensions apparaissaient. J’ai choisi de garder mes amis plutôt que ce travail. Je ne le regrette absolument pas.

Mais pour répondre à votre question, il n’existe donc aucun lien entre ce livre et Girls in Hawaii…

Quelle aide avez-vous obtenue du Musée de la Photographie de Charleroi, où vous exposez actuellement ?

Le musée m’a d’une part pré-acheté des livres et m’a donc par ce biais aidé à le publier. Il me donne également une très belle visibilité…

Quels sont vos projets en cours ?

Je travaille à la finalisation d’un travail très différent de celui dont nous parlons : une série réalisée au Burkina Faso il y a trois ans. Beaucoup de portraits, des paysages.

J’ai par rapport à ce voyage des sentiments forts et parfois contradictoires que j’aimerais pouvoir faire ressentir par des techniques d’impression différentes, voire l’inclusion de dessin. C’est encore une ébauche.

Propos recueillis par Fabien Ribery

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Olivier Cornil, Dans mon jardin les fleurs dansent, Les éditions du Caïd / L’image sans nom / Olivier Cornil, 2019 – 500 exemplaires

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Editions du Caïd

L’image sans nom

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Exposition au Musée de la photographie de Charleroi (Belgique), jusqu’au 12 mai 2019

Musée de la photographie de Charleroi

Livre disponible sur le site de Tipi Bookshop

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