
Pendant plus de trente ans, Alan Schaefer (1941-2008), artiste vivant à Oakland, en Californie, s’est photographié chez lui en femme, devenant April Dawn Alison
Restés jusqu’à ce jour confidentiels, ses autoportraits sont saisissants, mettant en scène dans un intérieur domestique les multiples visages d’un homme prenant plaisir à se travestir en femme.

A l’occasion d’une donation au Musée d’art moderne de San Francisco, les éditions MACK publient le volume de ses recherches identitaires.
La porte fermée, tout devient possible.
En 9200 Polaroïds, April Dawn Alison explore sa véritable personnalité, jouant avec ses fantasmes, taquinant par ses exhibitions savantes et sauvages le désir de ses contemplateurs imaginaires.

Le trouble se lève, lorsque le regardeur comprend que les métamorphoses qui le fascinent pourraient très bien être les siennes.
Assez souvent marquées par la mélancolie, ces photographies d’un homme portant robes et jupes courtes, soutiens-gorge et talons hauts, perruques et larges culottes, sont aussi chargées d’un humour froid détonant.
Madame fait son cinéma sous l’objectif de Monsieur.

Elle l’aguiche, le vampirise, le prend dans les mailles des vêtements chus de son strip-tease.
Elle lui propose de se glisser sous ses froufrous, de la basculer, de la violer.
Elle l’entraîne dans le labyrinthe du sadomasochisme, chaînes rutilantes et menottes prêtes à l’emploi.

C’est une parfaite ménagère de cinquante ans, irréprochable sur le soin de sa tenue.
C’est une pin-up de magazine vendant ses charmes.
C’est une poupée de chair japonaise bâillonnée et accrochée au plafond.
Je suis ton esclave, je suis ton maître, fais ce que tu veux de moi, ton tour viendra de te consumer aussi pour des passions inavouables.

Les voisins ? Ils sont bien plus tordus encore que moi, ne t’inquiète pas mon chéri.
Maquillage, fardage, choix des collants et des bijoux, profondeur du décolleté, essais d’habits dans le miroir des Polaroïds.
April Dawn Alison est multiple, hybride, homme-femme en sous-vêtements tenant sa cigarette avec chic, comme Marlene Dietrich.

Je suis une dactylographe s’effeuillant.
Je suis une maman ligotée par d’affreux bandits.
Je suis une star d’Hollywood faisant son yoga.

Je suis une petite chienne en chaleur, langue pendante, écartant les jarrets.
Je suis ton jouet, un mirage, un mannequin de luxe portant une minijupe en latex rouge, assoiffé de sexe.
Tant d’obstination dans la mise en scène de soi, jour après jour, force le respect.

En ses performances sublimes et de très mauvais goût, April Dawn Alison photographie le visage grimaçant et sexy de l’Amérique.
April Dawn Alison, April Dawn Alison, textes de Erin O’Toole, Hilton Als and Zackary Drucker, MACK (London), 2019
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