
Publié par MACK (Londres) avec le concours, en Sardaigne, du MAN Museum (Nuoro) et de l’Institut Supérieur Régional d’Ethnographie, In Sardegna est une œuvre de vaste ampleur de Guido Guidi, fruit d’un double voyage dans l’île italienne ayant eu lieu en 1974 et 2011.
Se présentant dans un beau coffret cartonné gris contenant trois volumes – l’un en format italien, les deux autres en format vertical -, ce travail, effectué en noir & blanc en 1974, est en couleur près de quarante plus tard, dans une palette très douce.

In Sardegna témoigne de la réalité socio-économique d’un territoire marqué par l’exode rural, mais aussi la persistance çà et là d’une culture pastorale constituant l’un de ses points d’identité les plus structurants.
Lors de son voyage de noces en 1974, Guido Guidi, né en 1941, photographie, souvent de l’intérieur de son véhicule, des ruines (les sculptant sous différents angles quelquefois), les signes de la ruralité (un camion bourré de grands pans d’écorces d’arbres), la présence d’un paysage survivant aux hommes.

Le Parti Communiste Italien (P.C.I.) est encore très présent, la Sardaigne est une terre de luttes.
Guidi observe la matière des murs rongés par le temps, des portes fermées depuis longtemps, une atmosphère de repli sur soi et de deuil.
Le soleil accable les villages, persiennes et volets hermétiquement clos.

Les humains semblent s’être absentés, ou peut-être se cachent-ils dans le fond d’une église.
Deux petites filles apparaissent, fraîches et jolies, l’une brune, l’autre blonde, devant le seuil de leur maison. Elles sourient, ce sont des messagères autorisant dans le livre la venue d’autres êtres de chair.
Guido Guidi photographie des porches, des entrées, une dialectique de fermetures et d’ouvertures.

Si la Sardaigne paraît d’abord sous son regard peu hospitalière, les hommes et femmes et enfants qu’il rencontre sont montrés dans leur joie de vivre, leur allégresse, la simplicité de leurs interactions.
L’ethnologue analysera telle ou telle situation, telle ou telle tenue, tel ou tel comportement, mais, au-delà du travail scientifique que permettent ces premières images, le spectateur comprendra peut-être d’abord que la rudesse des conditions de vie n’obère pas totalement le bonheur de l’existence.
Le premier voyage de Guido Guidi n’est pas touristique, mais de profonde précaution (le sens de la juste distance) envers les vivants (humains/animaux), les bâtiments et les paysages qui passent. Pas de jugement a priori, mais des constats ne visant pas à réduire la beauté et l’étrangeté – presque lunaire (dernières images) – d’une île abordée dans toute son altérité, et sans folklore.

Le volume 2 est une étude plus systématique des villages (Olbia, Decimomannu, Ussana, Seneghe, Milis, Simaxis, Oliena, Nuoro, Orosei, Abbasanta, Orani, Ottana, Sarule, Orgosolo, Fordongianus) dans une approche qui, s’en exclure la part d’abandon visible dans le ciment arraché des murs et les constructions délabrées, s’attache davantage à approcher les signes d’une modernité s’imposant peu à peu.
Il y a ici une attention très belle à l’héraldique des couleurs des décors quotidiens, comme si l’effort de peinture relevait d’un pari sur la vie.
Dans l’abstraction et la géométrisation des espaces et des objets, des humains s’obstinent encore à ne pas partir, ou ne le peuvent tout simplement pas, mélancoliques et isolés.

Dans le troisième volet de son triptyque, Guido Guidi radicalise son propos : quelques brebis nous accueillent, avant que de laisser place aux surfaces colorées des murs, aux crépis abîmés, aux traces de la déréliction.
Les humains ont presque totalement disparu, pourtant présents partout, en creux, habitants invisibles d’une île qui, au fond, pourrait bien finir par se passer d’eux et de leurs sublimes efforts dérisoires pour croire encore en un destin commun.
Guido Guidi, In Sardegna : 1974, 2011, texte en italien et anglais de Irina Zucca Alessandrelli, Luigi Fassi, Antonello Frongia, MACK (Londres) / MAN Museum, Nuoro / Institut Supérieur Régional d’Ethnographie (Sardaigne), 2019 – coffret de trois volumes
