
Ce kid-là, je le kiffe, il vient directement de mon enfance.
Un quartier résidentiel de Calais, des petites maisons coquettes, et, à côté des ferrailleurs, la famille Jacob, sept boxeurs professionnels sur trois générations. Mes voisins, mes copains.
Des titres à n’en plus finir, champion de France poids super-plumes et poids coqs, champions du monde poids super-coqs, des ceintures, des gants plus grands que les yeux, etc.

En classe, en CM2, mon épaule servait parfois, pour rire, de punchingball, on arrivait à s’entendre, et j’avais un protecteur.
Alors quand Le Kid débarque de nouveau grâce au photographe Thomas Fliche, c’est la fête.
Dès les premiers combats gagnés, l’argent coule à flot, et arrose les potes. Bonbons, pizzas, cinéma, tours de manèges, mobylette.

Kid vient de Charleroi, région du Hainaut, Belgique.
La vie n’y est pas facile depuis la fermeture des mines et des usines métallurgiques, vaisseaux fantômes hantant la campagne.
Mon ami le cinéaste Jean-Jacques Rousseau y tournait parfois des scènes impossibles, dans des appartements appartenant à des belles de jour aux dents cassées.

La ville est noire (voir le livre que lui a consacré Bernard Plossu à la façon d’Alphaville de Godard), sombre, triste, mais il y a Killian, Killian Dufrenne, espoir du Boxing Club Garcia situé à Bouffioulx, non loin de là.
Le Kid est un reportage, un film noir, un portrait, une grande émotion.
On prend le Ring, on ne sait pas très bien où on est, on est un peu glacé, mais, pas de problème, on sait qu’on va bientôt se réchauffer.

Ruines de la gloire industrielle belge, et rêves d’un gosse aux bras aussi puissants que véloces.
Sac à dos Nike Air, cheveux courts, regard direct, la classe incarnée.
Kid est très jeune, juste ado, son vélo et son chien sont ses meilleurs amis.

Il est mignon, fait craquer les mamans à l’entraînement, mais en deux rounds vous met ko debout.
Kid est déjà une star, sa copine est aux anges, imaginez un peu.
Thomas Fliche le suit, dans la rue, au parc, au snack, à la piscine, à l’arrêt de bus.

That’s the real life, my friend, la vie de Killian.
On dirait Kes de Ken Loach, frère en amour de tous les galériens du Nord de l’Europe.
Vas-y, allonge, tue-le, décale, balance putain.

Tu prends des coups, tu en donnes, tu anticipes, tu esquives.
Tu as la gueule amochée, tu as le monde à tes pieds, tu peux tout faire.
La ville s’effondre, c’est Detroit avant la rénovation, c’est la vie brute et l’obstination des meilleurs.

Slip, pesée, bandes de protection.
Trois combats, trois victoires, la saison commence bien.
Mais il n’y a pas Killian sans Karolyn, sa belle, ses baisers, ses rires, sa présence quotidienne.
Ces deux-là jouent encore comme des enfants, mais s’aiment comme des adultes.

Il a quinze ans, aura bientôt un enfant, Karolyne rêve de devenir esthéticienne.
Bébé est là, il a de la chance, ses parents l’adorent.
Vers la fin du livre, avant que la boxe ne reprenne, il y a un double portrait magnifique : Killian torse nu tenant contre lui son bébé en couche.
Comme dans un film de Chaplin, la rencontre de la force et de la fragilité n’a jamais été plus belle.
Et tout le reste, les usines abandonnées, le chômage, la délinquance, l’ennui, n’existe tout simplement plus.
Thomas Fliche, Le Kid, textes Thomas Fliche, éditions Imogène, 2019