Désir, et commence la nouvelle harmonie, par Philippe Sollers, écrivain

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« Je me suis senti de tout temps un si grand penchant pour la voie intime et secrète que la voie extérieure ne m’a pas autrement séduit, même dans ma plus grande jeunesse. Mon œuvre tourne tout entier du côté de l’interne. »

Vivre, c’est défendre une forme.

Un livre d’à peu près cent vingt pages, un narrateur qui vole selon, un roman mais sans story, quelques figures majeures de la pensée la plus vibrante (Nietzsche, Hegel, Breton, Shakespeare, Freud, Lacan, Genet, Rimbaud, Bataille, Dante), des femmes libres, des réflexions entrelacées écrivant un journal de navigation dans la tempête du temps.

Vivre vraiment, c’est ne pas céder sur son désir, et c’est par exemple formuler Désir comme on compose une fugue, en imaginant stratégiquement sa désertion, pour maintenir les possibilités d’un monde dans le démonde – surtout pas de lamento, fors celui de la nymphe de Monteverdi.

Au commencement étaient la confiance, la chance, la grâce.

En 1790, le « Philosophie inconnu » publie L’Homme de Désir, « claire déclaration révolutionnaire de l’Illuminisme ».

Philippe Sollers l’a lu, après l’universitaire Nicole Jacques-Lefèvre, auteure en 2003 d’un livre « sérieux » sur Louis-Claude de Saint-Martin, le Philosophe inconnu (1743-1803).

L’Esprit souffle où il veut, éteignez vos écrans, n’éteignez rien, il est là, comme un bijou surbrillant au cou de votre voisine, là, au café.

Tiens, la voilà qui pose sa main sur votre cuisse. Retenez bien ce fait, dans vingt ans vous écrirez un livre à succès.

« Regardez l’homme du contre-désir : il est très agité, son seul pôle est l’emploi qu’il occupe. Il veut monter de plus en plus haut dans l’ascenseur social, sa tête est pleine de chiffres, c’est un manager for ever. La femme de contre-désir est pareille, meilleure encore en termes de marketing. Si ces deux-là s’accouplent, d’une manière ou d’une autre, c’est juste pour vérifier la répulsion que son partenaire lui inspire. Elle l’ennuie, il la choque. »

Choisissez bien votre partenaire, concentrez-vous sur l’instant, un baiser dans une rue discrète est toujours possible, qui vous confirmera l’existence du royaume de la Joie. La première des révolutions est là, dans le détail des langues accordées. Merveilles de la nature.

Ne dites rien à personne, ne vous signalez pas, vous deviendrez invisible, tel le Philosophe Inconnu, ou le très connu qui le narre, son double, son frère, voyageur clandestin du temps, présent à chaque manifestation du Désir, en Chine, à Paris, à Venise, sur une île atlantique.

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Lui, l’auteur d’Illuminations (Robert Laffont, 2003) ? « Il choisit ses témoins, en refusant les disciples. Les témoins sont l’objet d’une révélation lumineuse qu’ils n’ont pas besoin d’exprimer. Ils la vivent, ou, plus exactement, sont vécus par elle. Certains se reconnaissent à leur façon de parler. C’est une sorte de silence actif, comparable à rien d’autre. »

Initié à la franc-maçonnerie par le kabbaliste Martinez Pasqualis, le Philosophe inconnu compare la Révolution à une opération magique, protégée par la Providence, car le véritable agissement n’est pas production de volonté, mais retour à la Lumière de laquelle nous procédons – appelons-la prière, littérature ou pensée.

L’époque est laide, méchante (transparence, selfisme, marché), mais les dieux et déesses grecs sont là, qui peuvent vous vouloir du bien – mais le voulez-vous, au fond ?

Apollon vous aime, peut-être, mais avouez que vous ne l’aimez pas, au fond ?

Vous êtes une exception, un libertin, une lettre volée, vous sortez du rang, vous avez eu le bon goût de vous échapper.

Quelqu’un a écrit : « Le dieu et la confusion doivent apparaître et faire effraction. Dans la détresse singulière, nous devons entrer dans cet interstice entre le dieu et la confusion, l’ouvrir et le fonder initialement. »

Il y a des intervalles dont les amis de la mort n’auront jamais idée.

« La pensée est un remerciement constant, rien d’autre, et son intensité envahit le corps tout entier, dans ses moindres ramifications nerveuses. Le cœur peut s’arrêter, la pensée vivra. »

Lisez Désir, vous vous reconnaîtrez, ou pas.

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Philippe Sollers, Désir, Gallimard, 2020, 130 pages

Philippe Sollers – site Gallimard

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