
Assez de moraline, de prêchi-prêcha, de bavardages sur fond de misère existentielle et de frustrations sexuelles.
Il nous faut de la noblesse, du mythe, du fracas, du sang, des cris, le rayonnement d’un anus solaire infernal, des brûlures de joie et de larmes acides.
Il nous faut une île, il nous faut Palerme, il nous faut Continent Sicile, de Franco Zecchin, livre magistral publié par Contrejour, colligeant deux décennies de photographies (1975-1994) effectuées pour une grande part pour le quotidien communiste L’Ora.

La vie est violente, injuste, insupportable, cruelle, la mafia assassine en pleine rue, les familles sont déchirées, hurlent, enragent, se frappent la poitrine, maudissent leurs ennemis.
Le clan des Corleonesi impose sa loi, éliminant ses rivaux sans l’ombre d’une hésitation.
Costumes impeccables, cigarettes, chevalières, on s’embrasse à la sortie de l’église, d’un baiser annonçant peut-être la mort.

Poing levé du fils près des veuves noires, dans la désolation du corbillard traversant la ville.
Qui saura rester juste ?
Qui saura préserver les yeux des enfants ?
Qui saura remiser le couteau ?

Palerme est un carnaval, Palerme perd la tête, Palerme ne sait plus quoi faire de ses morts.
les fous sont dans la rue.
On rit, on fait la fête, et l’on s’effondre sur la table, à l’heure du déjeuner, dans la banalité du crime, parmi les sardines tombées dans la poussière.

Quand la mort violente est omniprésente, il faut inventer des rites, des contre-maléfices.
Les pauvres s’entretuent, les homicides s’enchaînent, les fanfarons tombent les uns après les autres.
Caresse-moi les cheveux, je meurs tout à l’heure.
Sainte Vierge, accorde-moi ton pardon, j’assassinerai ce soir.

Le peuple explose de colère, comme la bombe posée sous le pont.
Continent Sicile est un livre brut, vrai, sans concession, un hymne aux corps et visages d’une île frappé par le mal et la beauté, la haine et le rire pur.
Un corps est étendu sur le macadam. Les carabinieri font leur travail, les journalistes flashent, Dieu est là, jusque dans la sauvagerie.
Un chat a la gueule en sang, victime collatérale d’un meurtre de masse ininterrompu.
Le code de l’honneur de la mafia ? Foutaises.

« Lorsqu’autour de moi journalistes, juges et hommes politiques ont commencé à tomber sous les coups de la mafia, écrit Franco Zecchin dans un texte de nature biographique, j’ai choisi d’utiliser mon travail et ma position de photographe en première ligne face à la violence comme un instrument pouvant contribuer à la construction d’une culture anti-mafia. »
Juges Falcone et Borsellino, d’où vous êtes, priez pour eux, priez pour nous !
Franco Zecchin, Continent Sicile, texte Franco Zecchin, Contrejour, 2019, 126 pages

